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entre le ciel et la terre, entre les Indes et l’Amérique, sans trop savoir où nous poserons le pied. La mer Pacifique est devenue pour nous l’air natal, et nous avons tout le loisir de le respirer.

— Vous avez raison, ma chère enfant. — Mais, Wallingford, qu’est devenu le capitaine Marbre au milieu de tous ces grands événements ? Vous ne l’avez pas laissé, comme Sancho Pança, pour gouverner Barataria, pendant que vous veniez reprendre son bâtiment ?

Je lui racontai la manière dont notre vieil ami avait disparu, et lui demandai s’il n’avait point entendu parler du schooner ou du bâtiment baleinier dans la nuit de la tempête ?

— Nullement, répondit le major ; loin de m’attendre à revoir jamais la Belle Emilie, je supposais que vous alliez partir pour Canton ; c’est ce que le pauvre Le Compte m’avait dit lui-même. Ce dont je suis certain, c’est qu’aucune voile n’a été signalée à bord pendant toute la traversée. Nous n’avons pas non plus essuyé de tempête. Au contraire le temps a été constamment magnifique.

Je me fis apporter le livre de loch, et je reconnus en effet, d’après la route que la Crisis avait suivie, que ce ne pouvait pas être elle que nous avions aperçue.

Mais je ne dois point passer sous silence une galanterie du capitaine Le Compte. Il était mieux fourni en charpentiers qu’en matelots, à en juger du moins par la promptitude avec laquelle il avait construit le schooner. En revenant de la Terre de Marbre, il avait employé ses ouvriers à élever une dunette sur le gaillard d’arrière de la Crisis, et l’ouvrage venait d’être terminé. Il y avait un très-joli salon bien aéré, avec deux chambres communiquant entre elles par de légères galeries. On reconnaissait le goût français à l’élégance de l’ameublement. Émilie et son père devaient prendre possession de ce petit appartement le jour même. J’étais étonné que M. Le Compte, qui pouvait avoir à lutter contre la marine la plus formidable du monde, eût fait une construction qui pouvait entraver sensiblement la marche du bâtiment. Comme marin, je ne l’aurais pas ordonnée ; mais maintenant qu’on était en paix, je me décidai à la laisser subsister, du moins tant que miss Merton resterait à bord.

Le soir même, j’installai le major dans une des chambres et sa fille dans l’autre. Imitant les prévenances du pauvre Le Compte, je les fis servir à part, quoique la plupart du temps je fusse invité à prendre mes repas avec eux. Le major, qui s’entendait un peu en chirurgie, voulut soigner lui-même la blessure que j’avais reçue à l’épaule, pendant qu’Émilie avait pour moi ces mille attentions délicates dont son sexe a seul le secret. En moins de quinze jours, ma blessure était