Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rochers ; je rangeai donc la côte de très-près en doublant la pointe. L’instant d’après, la Crisis était en vue, à moins de cent brasses de distance. Je vis que nous faisions bonne route, et je fis carguer la misaine. En même temps, je me portai à l’avant. Nous étions si près que le bruit que faisait la toile en fouettant les mais fut entendu de la Crisis, et l’on nous héla. Une réponse insignifiante fut faite, puis nos bossoirs vinrent heurter ceux de la Crisis. — Hourra ! pour notre vieux bâtiment ! crièrent nos matelots, et ils s’élancèrent à l’abordage. On eût dit une meute ardente s’élançant sur sa proie.

La scène qui suivit fut une scène de confusion et de désordre. Des coups de pistolets furent échangés, mais la surprise nous assura la victoire. En moins de trois minutes, Talcott vint m’annoncer que nous étions maîtres du pont, et que les Français demandaient quartier. Leur première idée fut qu’ils avaient été saisis par un bâtiment garde-côte, car ils nous avaient quittés bien convaincus que c’était vers Canton que nous allions nous diriger. Grand fut leur étonnement quand ils apprirent la vérité. Dieu sait quelles imprécations ils vomirent contre nous, mais je ne crois pas utile de les répéter.

Harris, le matelot qui avait été cause de tout le mal en s’endormant pendant son quart, fut tué ; et neuf des nôtres, moi compris, reçurent de légères blessures ; trois tout au plus durent interrompre leur service pendant quelques jours. Quant au pauvre diable qui succomba, il dut sa mort au besoin qu’il éprouvait de faire oublier sa faute en s’exposant le premier aux coups de l’ennemi.

Les Français furent plus maltraités. Seize périrent sur la place ou des suites de leurs blessures ; nos hommes ayant fait une décharge meurtrière sur le premier groupe qui se précipita sur le pont, et s’étant servis ensuite de leurs coutelas, pendant une minute ou deux, avec un grand acharnement. C’était d’après le principe que le premier coup porté décide du combat. Le pauvre M. Le Compte fut trouvé mort à la porte de sa chambre ; il avait reçu une balle dans le front. J’avais reconnu sa voix au commencement de la mêlée ; elle était tonnante. Je ne compris que trop bien alors pourquoi elle avait cessé tout à coup de se faire entendre.