Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos regards avides cherchaient le canot ; ce fut inutilement. Le navire lui-même avait disparu.

Ma position était aussi nouvelle pour moi qu’embarrassante. Il n’y avait guère plus d’un an que j’étais parti de New-York, troisième officier de la Crisis. Depuis lors, je m’étais élevé régulièrement au rang de premier lieutenant, et maintenant, par suite d’une cruelle catastrophe, je me trouvais au milieu de l’Océan, seul responsable de la vie d’une quarantaine de mes semblables. Et je n’avais pas encore vingt ans !

Le projet de Marbre d’attaquer la Crisis m’avait semblé chimérique et impraticable en pleine mer ; mais sur la côte, j’avais toujours cru le succès possible. Et puis Émilie et son père, l’honneur du pavillon, la gloire que je pourrais acquérir personnellement, eurent aussi leur part d’influence. Toute la journée nous étions restés en croisière ; il n’y avait plus d’espoir de retrouver le canot ; je résolus donc de nous remettre en route.

Le lecteur peut avoir quelque désir de savoir de quelle manière ma nouvelle dignité fut acceptée par l’équipage. Jamais commandant ne se vit plus ponctuellement obéi. J’avais fait mes preuves à leurs yeux, et ils avaient en moi plus de confiance que je n’en méritais : on eut dit que je les avais commandés toujours. Marbre fut regretté plus encore que le capitaine Williams. Malgré sa rudesse, il avait de ces qualités qui plaisent aux matelots. Quant aux quatre plongeurs des îles de Sandwich, ce fut à peine s’ils occupèrent un instant nos pensées ; nous étions habitués à les regarder comme des êtres étranges, sortis de cet Océan dans lequel ils étaient si subitement rentrés.

Quinze jours après la perte du canot, nous aperçûmes les pics des Andes, à très peu de degrés au sud de l’équateur. D’après quelques propos que j’avais entendus, l’intention des Français avait dû être de gouverner vers Guayaquil ou ses environs ; je résolus de ranger la côte vers ce point. Nous étions entrés, lors de notre premier voyage, dans plusieurs des baies et des rades de cette partie de la côte, qui nous étaient à présent familières ; j’avais fait aussi des connaissances qui ne pouvaient manquer de nous être utiles, et tout semblait devoir favoriser notre atterrage.

Dans la soirée du vingt-neuvième jour depuis notre départ de l’île, le schooner entra dans une rade ouverte, où, huit mois auparavant, nous avions fait un trafic assez considérable, et où j’espérai que nous serions reconnus. Je ne m’étais pas trompé. À peine avions-nous jeté l’ancre, qu’un Don Pedro… etc., etc., — car il avait une kyrielle étonnante de noms, — vint à nous dans un canot, pour reconnaître qui