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ne laissa la lumière que pendant quelques secondes, la disposition de celle du canot indiquant assez que notre réponse avait été reçue. Je virai immédiatement, carguai la misaine, et suivis la route indiquée. Nous avions tous prévu un changement de temps. Mais Marbre, loin de s’en effrayer, appelait une bourrasque de tous ses vœux, puisque « ’était au moment de sa plus grande violence qu’il voulait aborder la Crisis. Il s’imaginait qu’il aurait alors bien plus de chances de succès. Toute sa crainte était de ne pouvoir la trouver dans l’obscurité, et c’était pour obvier à cet inconvénient qu’il avait entrepris de nous piloter.

Nous aperçûmes encore une fois le navire droit par notre travers au vent. Nous en conclûmes qu’il recevait plus de vent que nous, car il avait changé sensiblement de position, tandis que nous n’avions pas fait un mille depuis que nous virions vent devant. À dix heures, la tempête éclata avec une violence toute tropicale. Nous ne l’attendions pas sitôt, et nous pensions que le canot nous aurait rejoints avant qu’elle se déclarât. La première bouffée de vent jeta le schooner sur le côté, de manière à nous prouver que les éléments ne plaisantaient pas. Je ne pus garder que la misaine avec tous ses ris pris, et encore y avait-il des moments où le schooner était lancé sur le sommet des vagues, comme s’il allait voler hors de l’eau. Ma grande inquiétude était pour le canot que je ne voyais plus. Marbre, dans ses instructions, n’avait pas prévu le cas de tempête, et nous étions séparés. Je dus croire naturellement que le canot chercherait à nous rejoindre, et tous mes efforts tendirent à ne pas trop nous éloigner du point où son équipage nous avait vus pour la dernière fois. La pluie tombait par torrents, et nous avions beau avoir allumé des fanaux, un feu de joie même n’aurait pas été vu à cent verges de distance.

Jamais je n’ai passé de nuit plus affreuse. J’étais attaché à Marbre. Tout dur, tout peu aimable qu’il pût être quelquefois pour les autres, il s’était montré constamment mon ami. Marin jusqu’à la moelle des os, navigateur par instinct, il était brave comme un lion et il serait mort pour défendre son pavillon. C’était par suite d’une susceptibilité excessive, d’un zèle outré pour les intérêts de ses armateurs qu’il s’était mis dans une position aussi critique. Je puis dire sans exagération que j’aurais voulu pouvoir changer de place avec lui.

La tempête dura toute la nuit, et les vents ne cessèrent pas de hurler autour de nous une sorte de requiem pour les morts. Enfin, au lever du jour, les flots se calmèrent, nous retrouvâmes les vents alisés, et le schooner put déployer toutes ses voiles. De tous côtés