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— Prenez garde, Émilie, dit son père en riant, vous allez décourager Wallingford, s’il lui prenait jamais fantaisie de penser à vous.

Émilie rougit, mais son embarras ne dura pas, et elle répondit avec une vivacité charmante : — M. Wallingford ne me croit pas assez mal élevée pour vouloir blesser qui que ce soit ; mais je suis sûre que, dans tous les cas, il ne me poursuivrait pas comme cet importun Français, qui a toujours l’air plutôt d’un sultan turc que d’un amant respectueux. Et puis…

— Et puis quoi, miss Merton ? m’aventurai-je à demander, en voyant qu’elle hésitait.

— Et puis, les Américains sont à peine des étrangers pour nous, ajouta Émilie en souriant ; car, vous savez, mon père, que nous avons des parents aux États-Unis.

— Oui, ma chère ; et si mon père s’était établi là où il s’est marié, nous serions Américains nous-mêmes. Mais M. Le Compte nous a laissé un moment de liberté, et il faut en profiter pour nous apprendre mutuellement ce qui nous intéresse. On ne nous laissera pas longtemps seuls.

Émilie me pressa de commencer, et je lui racontai en peu de mots ce qui m’était arrivé depuis que je ne l’avais vue. J’avais hâte d’en finir, pour entendre le détail des aventures qui les avaient conduits eux-mêmes dans une position si extraordinaire.

— Quand vous nous avez quittés à Londres, Wallingford, me dit M. Merton, je pensais partir pour les Indes occidentales ; mais une place plus avantageuse m’étant offerte dans l’est, je m’embarquai pour Bombay. Nous n’étions qu’à trois ou quatre jours de distance de notre destination, quand nous rencontrâmes la Pauline ; et notre bâtiment, qui était petit et sans moyen de défense, fut aisément capturé. Dans le premier moment, je crois que le capitaine Le Compte aurait été disposé à me laisser aller sur parole, mais il ne se présenta point d’occasion, et la Pauline nous conduisit à Manille. Ce fut là que nous fîmes la perte affreuse que, sans doute, vous avez devinée en nous voyant en deuil. Mais alors M. Le Compte était devenu l’amant déclaré d’Émilie, et nous ne pouvons plus espérer notre délivrance, tant qu’il trouvera des prétextes pour la différer.

— J’espère qu’il n’abuse pas de son pouvoir pour tourmenter miss Merton par ses importunités ?

Émilie me remercia par un sourire de la chaleur avec laquelle je venais de m’exprimer.

— Oh ! non, nous n’avons pas à nous plaindre, dans ce sens du moins, reprit le major. M. Le Compte fait pour nous tout ce que