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jours six brasses. La fois d’après, j’en trouvai dix, et la Crisis venait d’arriver à l’endroit où j’en avais trouvé six. Les brisants faisaient rage derrière moi, et je criai aussitôt :

— L’ancre ! commandant, jetez l’ancre le plus vite possible !

M. Marbre ne répondit pas un mot ; mais les basses voiles furent carguées, puis les perroquets ; après quoi on amena le grand foc. Malgré le mugissement des brisants, j’entendis le bruit des huniers qui s’amenaient, et alors le bâtiment vint au vent. Enfin, une des ancres de poste tomba pesamment du bossoir dans l’eau, et ce bruit frappa délicieusement mes oreilles. Je continuai à rester immobile, pour épier le résultat ; le câble fut filé librement, et je remarquai que le bâtiment venait à l’appel de son ancre ; l’instant d’après, j’étais à bord.

— Vous m’avez tiré une fameuse épine du pied, monsieur Wallingford, dit Marbre en me secouant la main avec une énergie qui en disait plus que toutes les paroles ; vous m’avez piloté à merveille. — Mais n’est-ce pas la terre que je vois la-bas sous le vent, — plus à l’ouest, mon garçon ?

— Elle-même, commandant, sans aucun doute ; ce doit être une des îles de corail, et ce récif est celui qui leur reste ordinairement du côté du large. On dirait qu’il y a des arbres sur la côte ?

— Voilà une découverte, mon ami, et il y a là de quoi nous immortaliser. Cette passe, je l’appelle Passe de Miles, et ce récif, le Récif de la Yole.

Je n’eus pas le courage de sourire de cet accès de vanité, je ne songeais qu’au salut du bâtiment. Le temps était doux, la baie tranquille ; la nuit était belle, et il était très-important de savoir au juste à quoi nous en tenir sur notre position. Le câble pouvait se raguer, et même c’était un accident assez probable si près d’un banc de corail. J’offris de m’approcher de la terre, tout en sondant, pour faire les observations qui pourraient nous intéresser. Le capitaine y consentit, en me recommandant de prendre de l’eau et des provisions, dans le cas où il ne me serait pas possible de revenir avant le lendemain.

La baie, entre le récif et l’île, pouvait avoir une lieue de large ; sa profondeur était presque partout de dix brasses. La barrière extérieure des rochers contre laquelle la mer se brisait, semblait être un mur avancé que les insectes aquatiques avaient érigé comme pour défendre leur île, sortie des profondeurs de l’Océan par suite des efforts réunis de leurs ancêtres, il y avait un ou deux siècles. Les ouvrages gigantesques accomplis par ces merveilleux ouvriers sont