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capture des peaux adoucit sensiblement le nouveau capitaine, qui déclara que, dès qu’il aurait pendu l’Échalas en face de son île, il commencerait à reprendre son assiette ordinaire.

Nous passâmes la nuit sous nos huniers, courant des bordées par une brise stable, mais légère, du sud. Le lendemain matin, le service du bâtiment se fit comme à l’ordinaire, et après le déjeuner nous rentrâmes dans la baie. Lorsque nous fûmes devant l’île, Marbre nous ordonna de passer un cartahu au bout de la vergue de misaine.

J’étais sur le pont, au moment où ce commandement fut donné tout à coup ; j’aurais voulu faire quelques représentations, car j’avais des idées assez justes sur la légalité et sur le droit des gens. Cependant je n’aimais pas à prendre la parole, car le capitaine Marbre avait pris un ton qui annonçait qu’il n’entendait pas plaisanter. Le cartahu fut bientôt placé, et les matelots attendirent en silence de nouveaux ordres.

— Saisissez ce gueux de meurtrier, attachez-lui les bras derrière le dos, placez-le sur le troisième canon, et attendez ensuite, ajouta-t-il d’un ton ferme.

Personne n’osa hésiter, quoique je visse sur une ou deux figures que cette besogne n’était pas de leur goût.

— Assurément, n’aventurai-je à dire à voix basse, vous ne parlez pas sérieusement, monsieur Marbre !

— Dites capitaine Marbre, s’il vous plaît, monsieur Wallingford ; je suis maintenant maître de ce navire, et vous en êtes le premier lieutenant. Je me propose de pendre votre ami l’Échalas, pour qu’il serve d’exemple au reste de la côte ; ces bois sont pleins d’yeux dans ce moment, et le spectacle qu’ils verront tout à l’heure produira plus d’effet que quarante missionnaires et soixante-dix ans de prédication. Matelots, placez le drôle debout sur le canon, comme je vous l’ai ordonné ; voilà la manière de généraliser avec un Indien.

L’instant d’après, le malheureux était dans la position indiquée, regardant autour de lui avec une expression qui indiquait le sentiment du danger, bien qu’il ne pût comprendre exactement le genre de supplice qui l’attendait. J’allai auprès de lui, et lui pressai la main, en lui montrant le ciel, pour lui faire sentir qu’il ne devait plus mettre sa confiance que dans le Grand-Esprit. L’Indien me comprit ; car, à partir de ce moment, il eut un maintien calme et assuré, comme quelqu’un qui est résigné à son sort. Il est probable que, dans ses idées, il ne trouvait rien d’étonnant à la manière dont on agissait envers lui ; car il avait sans doute sacrifié bien des prisonniers dans des circonstances qui justifiaient moins un pareil acte.