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chent la tête sous un soleil brûlant. Le vieux sauvage sentit que ses forces s’en allaient grand train, il vint à moi pour en finir, et je vis qu’il fallait cette fois lui donner satisfaction. Avec l’aide des sauvages, je carguai la grande voile, et mis le bâtiment dans le lit du vent. Nous virâmes mieux que je ne l’aurais cru possible, et quand les Indiens virent que nous gouvernions enfin dans la direction de la terre, leurs transports n’eurent pas de bornes. Leur chef m’aurait presque embrassé ; mais je sus me soustraire à l’accolade. J’étais sans crainte sur les conséquences ; nous étions trop loin pour avoir à redouter les canots, et de toute manière il me serait facile de les éviter avec une pareille brise.

L’Échalas et ses compagnons furent moins sur leurs gardes, dès qu’ils s’aperçurent que le bâtiment suivait la direction convenable. Croyant le danger passé, ils résistèrent moins à leurs souffrances physiques. J’appelai Neb au gouvernail, et me penchant par-dessus le couronnement, je réussis à attirer Marbre à la fenêtre, sans alarmer l’Échalas. Je dis alors au lieutenant de rassembler tout son monde sur le gaillard d’avant ; j’avais observé que les Indiens évitaient cette partie du bâtiment, à cause de la manière dont il s’enfonçait parfois dans la mer. Dès que mon plan fut bien compris, je me dirigeai vers l’avant, tout en regardant les voiles, et en touchant de temps en temps un cordage pour donner le change. Le sauvage qui était placé à l’échelle de l’avant souffrait horriblement, et, la figure renversée, il payait son tribut à la mer. Les panneaux étaient solides ; ils n’étaient fermés que par une barre de fer et un crochet. Je laissai glisser ma main, je levai le crochet, et tout l’équipage se précipita sur le pont, Marbre en tête.

Ce n’était pas le moment des explications. Je vis du premier coup d’œil que mes compagnons étaient tout autrement animés que moi. J’avais été pendant des heures entières avec les sauvages, j’avais obtenu jusqu’à un certain point leur confiance, et je me sentais disposé à les traiter avec cette douceur qu’ils me semblaient avoir montrée à mon égard. Mais Marbre et le reste de l’équipage s’étaient monté la tête pendant leur séquestration ; ils avaient été jusqu’à jurer de se faire sauter tous, plutôt que de laisser le bâtiment au pouvoir des sauvages. Et puis le pauvre capitaine Williams était fort aimé sur le gaillard d’avant, et sa mort restait à venger. J’aurais voulu dire un mot en leur faveur, mais aux éclairs qui sortaient de tous les yeux, je vis que ce serait peine perdue. Je me jetai donc sur le sauvage qui avait été placé en sentinelle près de l’échelle, pour l’empêcher d’intervenir. Cet homme avait à la main les pistolets qu’on