Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jettir, touchant d’abord les bras de manière à remplir la voile.

Le lecteur peut être convaincu que je ne me pressai pas, maintenant que les choses étaient en si bon train. Je pouvais remarquer que mon pouvoir et mon importance augmentaient à mesure que nous nous écartions de la terre. Le bâtiment allait tout seul sous une pareille voilure, la barre un peu au vent ; je n’avais donc pas d’effort extraordinaire à faire, et je résolus de rester en haut le plus longtemps possible. La vergue fut bientôt assujettie, et alors je montai dans la hune et je commençai à rider les agrès du vent. Tout cela ne fut fait qu’imparfaitement, mais c’était assez pour le temps qu’il faisait.

De la hune j’avais une vue étendue sur la mer et sur la côte. Nous étions alors d’un grand mille en mer, et quoique le flot ne nous fût plus utile, nous filions à raison de deux nœuds. Au moment où je venais d’attacher la dernière ride, les canots commencèrent à paraître, doublant la pointe de l’île par le passage le plus éloigné, et promettant de nous atteindre dans l’espace de vingt minutes. Il fallait prendre un parti, et je me décidai à hisser le grand foc. Je descendis donc sur le pont.

Maintenant que j’avais la confiance des sauvages, qui étaient convaincus que leur retour dépendait de moi, je n’eus pas de peine à les mettre à l’ouvrage. J’ai rarement été plus heureux qu’au moment où je vis cette grande surface de toile ouverte à l’air. Les rabans furent halés et amarrés le plus vite possible, et je reconnus que je ne pouvais faire davantage avant l’arrivée des canots. Je désirais me mettre en rapport avec Marbre. En passant sur l’arrière pour en chercher le moyen, je m’arrêtai un moment pour observer les canots. L’Échalas, pendant ce temps, manifestait son impatience que le bâtiment ne virât pas. J’aurais été massacré vingt fois, si les sauvages avaient su comment s’y prendre pour gouverner eux-mêmes le navire. Mais ils avaient besoin de moi ; je le sentais comme eux, et mon audace s’en accrut.

Je pris une longue-vue pour regarder les canots. Ils étaient à un demi-mille de distance, avaient cessé de se servir de leurs pagaies, et étaient serrés les uns contre les autres, comme si on tenait conseil. Je pensai que l’aspect du bâtiment sous voiles les avait alarmés, et qu’ils commençaient à croire que nous étions redevenus maîtres du navire, et qu’il ne serait pas prudent de s’approcher trop. Si je pouvais les confirmer dans cette opinion, c’était un grand point de gagné. Sous prétexte de faire plus de voile, pour faire tourner le bâtiment sur lui-même, opération dont je m’évertuai à expliquer à force