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L’Échalas voyait évidemment que les choses n’allaient pas bien, quoiqu’il ne sût à quoi l’attribuer. Il était clair qu’il ne comprenait pas pourquoi le navire portait au large, car il n’avait aucune idée de la puissance du gouvernail. Notre barre agissait en bas, et il est possible que cette circonstance l’intriguât ; il y avait alors plus de petits bâtiments faisant mouvoir leur gouvernail sans l’aide de la roue qu’avec elle. À la fin, le mouvement du navire devint trop sensible pour admettre un plus long délai ; le sauvage s’approcha de moi, le couteau tiré, et d’un air qui annonçait que l’affection n’entrait pour rien dans la modération qu’il avait montrée auparavant. Après avoir brandi fièrement son arme à mes yeux, et l’avoir appuyée deux ou trois fois sur ma poitrine d’une manière très-significative, il me fit signe de virer de bord et de rentrer dans le port. Je pensai que mon dernier moment était venu ; mais, par un mouvement assez naturel, je lui montrai les mâts dégarnis, pour lui faire comprendre que le navire n’était pas dans son état ordinaire. Je crois que je fus entendu, quant à cette partie de mes excuses ; il était trop évident que nos mâts et nos vergues n’étaient pas à leurs places habituelles, pour que le fait échappât à l’attention même d’un sauvage. Cependant l’Échalas vit que quelques-unes des voiles étaient enverguées, et il me les montra en grommelant des menaces si je refusais de les établir. La brigantine se trouvant près de lui, il la saisit et m’ordonna de la déployer sur-le-champ.

Il est à peine nécessaire de dire que j’obéis à cet ordre avec une joie secrète. Larguant les cargues, je mis l’écoute dans les mains d’une douzaine de sauvages, et nous nous mîmes à haler tous ensemble. En une minute, la voile était tendue ; je les conduisis ensuite sur l’avant, et nous en fîmes autant pour le petit foc et la grande voile d’étai. Nous y ajoutâmes le foc d’artimon, le seul autre morceau de toile que nous pussions montrer jusqu’à ce que nos mâts fussent mis en clef. Cependant, l’effet de ces quatre voiles suffit pour accélérer d’un nœud la marche du bâtiment, et l’amener vite au point où il pouvait sentir toute la force de la brise qui soufflait du sud-est. Lorsque les quatre voiles furent en place, nous étions à un bon quart de mille de l’île, et en position de recevoir le vent sans obstacle.

L’Échalas tenait toujours sur moi son œil de faucon. Comme j’avais obéi à ses ordres en mettant les voiles, il ne pouvait se plaindre ; mais le résultat ne répondait nullement à son attente. Il voyait que nous continuions à nous avancer dans la mauvaise direction, et jusques alors aucun canot ne se montrait. Quant à ces derniers, maintenant que le navire prenait de l’aire, je n’étais pas sans espérance de