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ques-uns portaient des tomahawks. À mon grand regret, j’en vis trois ou quatre se porter immédiatement à l’échelle d’arrière, et autant à l’échelle ou panneau de l’avant. On interceptait ainsi les deux seuls passages par lesquels les officiers et les matelots devaient vraisemblablement monter, s’ils voulaient venir sur le pont. Il est vrai que le grand panneau servait pendant le jour, mais il avait été fermé pour la nuit, et personne n’aurait imaginé de s’en servir, à moins de connaître ce qui se passait sur le pont.

Je souffrais beaucoup du bâillon et des cordes qui me serraient les membres, mais je songeais à peine à mon mal, tant j’étais impatient de voir ce qui allait arriver. Quand les sauvages furent tous à bord, le premier quart d’heure se passa à faire leurs dispositions ; l’Échalas, le stupide, le lourd et l’insensible Échalas agissait comme chef et déployait non-seulement de l’autorité, mais de l’habileté et de l’intelligence. Il plaça tout son monde en embuscade, de manière à ce qu’en arrivant d’en bas on ne pût s’apercevoir tout d’abord du changement qui avait eu lieu sur le pont, et à ce que les sauvages pussent avoir le temps d’agir. Il s’écoula ensuite un autre quart d’heure, durant lequel on aurait pu presque entendre tomber une épingle, tant le silence était profond. Je fermai les yeux pendant ce terrible intervalle, et je m’efforçai de prier.

— Oh ! du gaillard d’avant ! dit tout à coup une voix que je reconnus pour être celle du capitaine. J’aurais donné tout au monde pour pouvoir lui répondre, afin de l’avertir du danger, mais cela m’était impossible. Je fis entendre un gémissement, et je crois que le capitaine m’entendit, car il sortit de la porte de la chambre, et il appela : — Monsieur Wallingford ! où êtes-vous donc, monsieur Wallingford ? Il n’avait pas de chapeau, étant venu sur le pont à demi vêtu, simplement pour voir comment la nuit se passait, et je frémis encore aujourd’hui, en songeant au coup affreux qui tomba sur sa tête nue.

Ce coup aurait tué un bœuf, et le capitaine resta sur la place. Toutefois ses meurtriers eurent soin de prévenir sa chute, pour ne pas éveiller ceux qui dormaient au-dessous, mais le bruit que fit le corps en tombant dans l’eau ne pouvait échapper à des oreilles comme les miennes, qui recueillaient avec avidité le moindre son. Ainsi périt le capitaine Williams, homme doux et bien intentionné, excellent marin, mais dont le principal défaut était le manque de précaution. Je ne pense pas que l’eau fût nécessaire pour l’achever, car aucun être humain n’eût pu résister au coup qu’il avait reçu.

L’Échalas avait été le principal acteur de cette horrible scène, et