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autres beaux messieurs de la marine. Il y a dans le nombre deux ou trois figures que j’ai vues à l’Old Bailey ; comment sont-ils parvenus à se soustraire à la déportation ? c’est ce que j’ignore. Vous voyez qu’ils sont aussi à l’aise que s’ils étaient chez eux, et que l’hôte qui les reçoit est aussi à l’aise de son côté que s’ils étaient tous de parfaits honnêtes gens.

— Comment se fait-il, lui dis-je à l’oreille, que des misérables si bien connus soient en liberté et qu’on ose les recevoir ?

— Enfant que vous êtes ! comment ! vous ne savez pas que la loi protège les fripons aussi bien que les honnêtes gens ? Pour faire condamner un filou, il vous faut des témoins, des jurés qui tombent d’accord, quelqu’un qui poursuive, toutes choses qui ne sont pas aussi communes que des mouchoirs de poche, ou même que des billets de la banque d’Angleterre. D’ailleurs, ces drôles-là ont toujours un alibi tout prêt. Vous savez qu’un alibi…

— Oui, je sais très bien ce que c’est, monsieur Sweeney.

— Comment diable ! s’écria le protecteur des revenus du roi en me regardant d’un air de défiance ; jeune comme vous l’êtes, et à peine débarqué d’un pays vierge encore comme les États-Unis, vous savez cela !

— Oui, dis-je en riant, l’Amérique est le pays des alibis ; tout le monde est partout, et personne n’est quelque part. La nation est toujours en mouvement et c’est en quelque sorte un alibi perpétuel.

Je dus sans doute à ces réflexions qui m’étaient échappées le développement des « vues ultérieures » de Sweeney. Il ne connaissait le monde qu’au point de vue légal ; et il lui semblait assez suspect qu’un jeune homme, dans ma position, fut déjà si bien instruit de la signification de ce terme si utile. Il resta pendant quelques minutes les yeux attachés sur moi.

— Et dites-moi, maître Wallingford, sauriez-vous aussi ce que veut dire nolle prosequi ?

— Sans doute, c’est se désister ; c’est ce que fit le lougre français à la hauteur de Dungeness, par rapport à mon brig, quand il n’eut fait qu’une bouchée du bâtiment qui revenait des Indes occidentales.

— Ah ! ah ! je vois que, sans m’en douter, j’avais affaire à un malin, moi qui étais assez simple pour vous prendre pour un novice.

— Voulez-vous, monsieur Sweeney, que je vous raconte une anecdote sur deux de nos officiers de marine ; elle est toute récente, et elle vous apprendra que nous autres marins d’Amérique, nous savons tous le latin sur le bout du doigt. Un de ces officiers s’était battu en duel, et il avait cru prudent de se cacher. Un de ses amis qui était dans le secret, vint un jour lui dire en grande hâte que les