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Quand je pris le quart le matin, je me trouvai sur le vaste Océan, à l’âge de dix-huit ans, dans des parages ennemis, ayant un navire précieux à conduire, mon chemin à trouver dans une mer étroite où je n’étais jamais entré, et à bord un équipage dont la moitié faisait son premier voyage. Nos novices montraient toute l’aptitude des Américains, mais ils avaient encore beaucoup à apprendre. La Crisis avait un équipage trop nombreux pour pouvoir employer tout le monde à toutes sortes d’ouvrages, comme cela a lieu généralement à bord d’un bâtiment marchand quand il n’a que son nombre d’hommes ordinaire, de sorte que l’instruction pratique ne s’acquérait que lentement. Malgré cela, les hommes que j’avais étaient sains, vigoureux, de bonne volonté, et capables de tenir tête aux plus vieux loups de mer.

Par suite des dispositions qui avaient été prises, j’étais alors abandonné à mes seules ressources ; toute la responsabilité pesait sur moi. J’avoue que, dans le premier moment, je fus aussi effrayé de cette position toute nouvelle que Neb en était ravi ; mais on s’accoutume bien vite à des changements de ce genre. Cinq ou six heures suffirent pour me mettre à l’aise ; il est vrai qu’il n’arriva rien qui sortît de la routine ordinaire. Lorsque le soleil se coucha, j’aurais été complètement heureux si l’obscurité ne m’avait causé quelque inquiétude. Le vent avait sauté au sud-ouest, et commençait à fraîchir. J’appareillai des bonnettes, et, au moment où le jour disparut complètement, le bâtiment commença à filer de manière à m’ôter l’envie de dormir. Je ne savais trop si je devais diminuer de voiles ou non ; d’un côté, il y avait danger d’avaries plus ou moins considérables ; de l’autre, j’avais à craindre de paraître timide aux yeux des deux ou trois marins que j’avais avec moi. Je cherchai à lire sur leurs figures ce qu’ils pensaient secrètement ; mais, en général, « Jack » a tant de confiance en ses officiers, qu’il prévoit difficilement un malheur. Quant à Neb, plus le vent soufflait avec force, plus il était content ; il semblait croire que le vent était sous les ordres de maître Miles, aussi bien que l’Océan, le brig, et lui-même ; il ne pouvait donc jamais en faire trop. Pour Talcott, il était à peine aussi expérimenté que moi, quoiqu’il eût de bonnes manières, qu’il fût bien né, bien élevé, et que, dans l’origine, il eût été mon compétiteur pour la place de troisième officier ; je n’avais été préféré que sur les instances réitérées de Marbre. Talcott néanmoins n’était pas sans talents en fait de navigation, et c’est pour cela qu’il m’avait été donné. Le capitaine Williams pensait que deux têtes valaient mieux qu’une seule. Je fis partager ma chambre à ce jeune homme, non-seulement