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navale qu’en montrèrent la Crisis et la Dame de Nantes, car nous apprîmes plus tard que c’était le nom de notre antagoniste. Ni l’un ni l’autre des bâtiments ne cherchait à se procurer un grand avantage par ces manœuvres. Au moment où nous rangeâmes la Lady, c’est le sobriquet que lui donnèrent nos matelots, les deux bâtiments se lancèrent leur bordée presque en même temps. Mon poste était sur le gaillard d’avant avec ordre de veiller aux écoutes et à tous les agrès, ne faisant usage du mousquet que dans les moments où je n’aurais rien de mieux à faire. Voilà que pour le début tombent deux poulies des écoutes de foc, me donnant une jolie besogne pour commencer. Ce n’était que le prélude de mes embarras, car pendant les deux heures et demie que nous échangeâmes des bordées avec la Dame de Nantes, j’eus réellement tant à faire, soit des manœuvres à passer, des nœuds à faire, ou des épissures, que j’eus à peine une minute pour regarder autour de moi, et voir où en étaient les choses. Je ne tirai que deux coups de mousquet. Le coup d’œil que je parvins à jeter ne m’apprit rien de satisfaisant ; plusieurs de nos hommes étaient tués ou blessés, un canon avait été mis hors de service par une décharge, et notre gréement était dans un triste état. Il n’y avait d’encourageant que les acclamations de Neb, qui se faisait un point d’honneur, à chaque décharge, de faire encore plus de bruit que son canon.

Il était évident que le bâtiment français avait un équipage deux fois plus nombreux que le nôtre ; un abordage eût donc été très-imprudent, et la canonnade ne nous offrait guère plus de chances de succès. Tout à coup j’entendis quelque chose qui craquait au-dessus de ma tête, et, en levant les yeux, je vis le grand mât de hune, qui venait de tomber, avec les vergues et les voiles, sur les bras de la misaine, et qui pouvait être attendu sur le pont d’un moment à l’autre. Aussitôt le capitaine ordonna à tout l’équipage de quitter les canons pour réparer les avaries. Au même instant, notre antagoniste, avec une complaisance pour laquelle je l’aurais embrassé de bon cœur, cessa également son feu. Des deux côtés on semblait regarder comme une folie que deux bâtiments marchands, qui étaient à une encâblure l’un de l’autre, luttassent entre eux à qui se ferait le plus de mal, et ne plus songer qu’au devoir, alors urgent, de réparer le dommage. Pendant ce temps, les hommes placés au gouvernail agissaient avec tout l’instinct de la prudence. La Crisis lofa, autant qu’il était possible, tandis que la Dame de Nantes prenait le large autant que les convenances le permettaient, si bien qu’il y avait plus d’un mille d’intervalle entre les