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Mais aujourd’hui qu’elle envoie ses princes sur les mers, nous pouvons nous attendre à des résultats différents[1].

Quoique, en fait, un bâtiment anglais ou américain abordât rarement un bâtiment français sans avoir ce pressentiment de la victoire qui déjà est un gage assuré du succès, cependant il y avait quelquefois des désappointements. Le courage ne manquait pas à leurs ennemis, et quelquefois le talent pas davantage. C’était ce que notre capitaine ne devait pas tarder à éprouver. À mesure que nous nous approchions de l’ennemi, nous reconnaissions qu’il agissait en véritable marin. Ses voiles avaient été ferlées sans hâte et sans confusion ; preuve infaillible de discipline et de sang-froid quand la manœuvre s’exécute au moment d’un combat ; et signe non moins certain pour le commandant expérimenté, que la lutte sera sérieuse. Ce ne fut donc bientôt un mystère pour personne sur notre gaillard d’arrière que la journée s’annonçait comme devant être chaude ; mais nous nous étions trop avancés pour reculer sans avoir tenté l’aventure, et nous commençâmes à notre tour à diminuer de voiles pour nous préparer au combat. Marbre était dans son élément, quand il se préparait quelque chose de sérieux. Jamais je ne le vis commander une manœuvre avec autant de sang-froid et de promptitude que ce jour-là. En dix minutes tout était prêt.

Il était rare en effet de voir deux bâtiments porteurs de simples lettres de marque déployer, dans leurs préparatifs, autant de science

  1. Ici ce n’est pins Miles Wallingford, c’est l’auteur qui parle, et il est Impossible de laisser sans réponse une assertion aussi erronée. Il suffit de feuilleter l’histoire pour reconnaître qu’aucune nation n’a produit de meilleurs marins que nos Normands, nos Bretons, nos Basques, et, dès l’origine de la monarchie, nos Provençaux ; qu’aucune nation n’a produit de plus grands hommes de mer que les Duquesne, les Duguay-Trouin, les Tourville, les Jean-Bart, etc. ; qu’après la longue inertie du gouvernement français sous le ministère Fleury, où la marine avais été complètement délaissée, il n’a fallu qu’un mot de Louis XVI pour en créer une nouvelle, comme d’un coup de baguette ; et celle marine improvisée lutta avec succès contre la marine anglaise, qui n’avait pas éprouvé le même abandon. Il suffit de se rappeler les Suffren, les d’Estaing, — un Américain devrait-il oublier ce nom ? — les La Motte-Piquet, pour reconnaître, tout au rebours de l’assertion de M. Cooper, une aptitude rare dans le Français comme homme de mer.
    Voudrait-on invoquer les désastres des guerres de la Révolution et de l’Empire ? mais comment notre marine se recrutait-elle alors ? on entassait sur nos vaisseaux des hommes chétifs, malingres, pris au hasard sur le littoral, et les bâtiments étaient envoyés à la mer sans avoir eu le temps de s’exercer. L’enthousiasme peut improviser une armée de terre, et nos annales en offrent de glorieux exemples ; mais le marin se forme lentement ; l’enthousiasme ne peut rien contre le mal de mer. Et pourtant même alors, que de brillants exploits ne pourrait-on pas citer !
    M. Cooper veut-il savoir la véritable cause de notre infériorité ? la voici :
    C’est que pour avoir une marine militaire, il faut avoir un commerce extérieur qui forme des matelots. C’est qu’ensuite, il faut instruire ces matelots dans l’art de la guerre, ce qui ne peut avoir lieu que par des armements faits de longue main ; c’est qu’il faut enfin faire pour son armés de mer ce qu’on fait pour son armée de terre : exercer en temps de paix pour la guerre.
    En d’autres termes, pour avoir une marine, il faut savoir faire les dépenses nécessaires. Quand le gouvernement et les chambres le voudront bien, la France n’aura pas plus de rivale sur mer qu’elle n’en a sur terre.