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Williams avait l’habitude de venir sur le pont examiner le ciel et voir comment les choses se passaient, pendant mes quarts de nuit ; mais, à partir de ce moment, il ne me rendit pas plus de visites de ce genre qu’à M. Marbre lui-même. Ses éloges m’avaient fait plaisir ; mais j’avoue que cette preuve muette de confiance me procura plus de bonheur que je ne puis l’exprimer.

Notre traversée fut longue, le vent étant resté à l’est pendant près de trois semaines. Enfin nous eûmes de bonnes brises du sud, et nous commençâmes à marcher tout de bon. Vingt-quatre heures après que nous avions le vent favorable, j’étais de quart le matin, et juste au point du jour, une voile se montra au vent par notre travers. C’était un bâtiment à peu près de la grandeur du nôtre, et portant tout ce qui pouvait accélérer sa marche. Je n’envoyai rien dire en bas qu’il ne fît grand jour, c’est-à-dire pendant près d’une demi-heure, et pendant tout ce temps notre position respective ne varia pas d’une manière sensible.

Au moment où le soleil se levait, le capitaine et le premier lieutenant montèrent sur le pont. D’abord ils furent d’accord pour supposer que c’était un bâtiment anglais, revenant des Indes occidentales ; car à cette époque il était rare de rencontrer sur mer des bâtiments marchands qui ne fussent pas anglais ou américains. Cependant les premiers naviguaient ordinairement par convois, et le capitaine expliquait l’isolement de celui-ci par l’extrême vitesse de sa marche. Il pouvait être porteur de lettres de marque, comme nous, et les bâtiments de cette espèce ne se faisaient pas escorter. Comme les deux navires étaient exactement par le travers l’un de l’autre, avec des vergues en croix, il n’était pas facile de juger du gréement de l’étranger, si ce n’est par ses mâts. Marbre, d’après l’apparence de ses huniers, inclina bientôt à croire que notre voisin pourrait bien être français. Après quelques phrases échangées sur ce sujet, le capitaine m’ordonna de brasser les vergues d’avant autant que nos bonnettes le permettraient, et de chercher à nous rapprocher de l’étranger. Pendant que le bâtiment changeait ainsi d’allure, la journée avançait, et l’équipage songea à déjeuner.

Il va sans dire que l’autre bâtiment qui n’avait rien changé à sa voilure, perdait un peu de son avance sur nous, tandis que nous nous en approchions sensiblement. Au bout de trois heures, nous n’en étions qu’à une lieue, mais placés juste dans la hanche du vent. Marbre n’hésita plus ; c’était bien un navire français : il était impossible de s’y méprendre. Jamais un bâtiment anglais ne se serait avisé de se mettre en mer avec de pareils triangles de perroquets volants ; et il me de-