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M. Marbre seul, et m’offrit la place sans hésiter. Nous devions faire le tour du monde, et cette idée seule m’enchantait. Le bâtiment devait conduire un chargement de farine en Angleterre ; y prendre une petite cargaison assortie de bois de sandal pour la côte nord ouest et quelques-unes des îles. De là, après avoir fait ses échanges, il devait mettre à la voile pour Canton, où il troquerait ses bois et ses fourrures contre du thé, etc., et revenir aux États-Unis. Les appointements étaient de trente dollars par mois. L’argent m’importait peu ; mais le voyage et le grade me convenaient beaucoup. Le bâtiment devait aussi porter des lettres de marque et de représailles, et il y avait quelque chance de rencontrer au moins dans les mers d’Europe quelque navire français.

J’examinai le bâtiment, le poste que je devais occuper, je jetai quelques regards profondément investigateurs sur le capitaine pour reconnaître son caractère, j’analysai sa mine, et je me décidai enfin à partir, pourvu qu’on voulût prendre Neb comme simple matelot. Des que Marbre entendit cette proposition, il expliqua dans quels termes le nègre était vis-à-vis de moi, et il conseilla vivement de l’accepter. L’arrangement fut fait en conséquence, et j’allai chez un notaire signer mon engagement. Cette fois, la chose se fit dans toutes les règles, M. Hardinge étant intervenu pour donner son consentement. Le bon ministre était de très-bonne humeur ; car il venait le jour même de conclure un arrangement avec un de ses amis du barreau pour placer Rupert dans son étude. Mistress Bradfort voulut conserver chez elle son jeune parent ; de sorte que l’habillement et l’argent de poche restaient seuls à la charge du père. Mais je connaissais trop bien Rupert pour supposer qu’il se contentât des quelques dollars que M. Hardinge pourrait lui donner sur ses épargnes. Je ne manquais pas d’argent. Mon tuteur avait si bien garni ma bourse, que non — seulement je payai ma dette aux armateurs du John et m’équipai complètement pour le voyage, mais il me restait encore assez de dollars pour parer à toutes les éventualités qui pouvaient se présenter pendant mon absence. Plusieurs des officiers et des hommes d’équipage de la Crisis laissaient une procuration à leurs femmes ou à leurs familles pour recevoir une partie de leur paie, pendant qu’ils étaient en mer, en ayant soin seulement d’écrire de temps en temps pour apprendre aux armateurs qu’ils étaient toujours à bord et dans l’exercice de leurs fonctions. Je résolus de faire en faveur de Rupert un arrangement semblable. Je commençai par lui donner vingt dollars sur mon petit trésor, puis je le menai à la maison de commerce, où je réussis à lui obtenir un crédit de vingt