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OU LE TUEUR DE DAIMS.
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oiseau, et qu’il fût lui-même en état de le faire assez bien, il fut convaincu que Hurry, qui avait déjà fait devant lui quelques essais de ce genre, n’aurait jamais pu imiter si parfaitement la nature. Il résolut donc de ne faire aucune attention à ce cri, et d’en attendre un qui fût moins parfait et qui partit de plus près.

À peine Deerslayer avait-il pris cette détermination, que le silence de la nuit et de la solitude fut interrompu par un autre cri, mais d’un caractère si déchirant, qu’il bannit du souvenir du jeune chasseur le son mélancolique de l’oiseau qu’il venait d’entendre. C’était un cri d’agonie poussé par une femme, ou par un jeune homme dont la voix n’avait pas encore pris les accents mâles de son sexe. Nulle méprise n’était possible. Ces sons peignaient une terreur mortelle, sinon l’agonie de la mort, et l’angoisse dont fut saisi Deerslayer fut aussi soudaine que terrible. Il lâcha le roseau qu’il tenait, et battit l’eau de ses rames, pour faire, il ne savait quoi ; pour aller, il ne savait où. Quelques instants mirent fin à son indécision. Le brisement de branches, le craquement de bois sec, et un bruit de pieds se firent entendre distinctement ; les sons paraissaient approcher de l’eau, quoique dans une direction qui ne tendait que diagonalement au rivage, et un peu au nord de l’endroit où il avait été recommandé à Deerslayer de rester avec la pirogue. Celui-ci dirigea sa nacelle en avant du même côté, sans faire alors beaucoup d’attention à ne pas se trahir par le bruit des rames. Il arriva bientôt près d’une partie du rivage dont les bords étaient assez élevés et très-escarpés. Des hommes se frayaient évidemment un passage sur ce banc, à travers les arbres et les buissons qui le couvraient, en suivant la ligne du rivage, comme si ceux qui fuyaient eussent cherché un endroit favorable pour en descendre. En ce moment, cinq ou six coups de mousquet partirent en même temps, et les échos des montagnes répétèrent leurs détonations. On entendit ensuite un ou deux cris, comme ceux qui échappent aux plus braves, quand ils sont surpris par une angoisse ou une alarme inattendue ; après quoi le bruit, dans les broussailles, se renouvela de manière à prouver qu’il y avait une lutte d’homme à homme.

— Maudite anguille ! s’écria Hurry avec la fureur du désappointement. Ce diable infernal à la peau graissée ; je ne puis le saisir.

— Eh bien, prends cela pour ta peine.

Ces mots furent suivis du bruit que fit la chute de quelque corps pesant tombant sur les broussailles, et Deerslayer pensa que son compagnon à taille gigantesque s’était débarrassé de son ennemi en