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DEERSLAYER

ses ennemis, dit-il enfin. C’est un de ces hommes qui parlent comme ils pensent, pendant que la langue est en travail, et qui parleraient tout autrement s’ils se donnaient le temps de réfléchir. Parlez-moi d’un Delaware, Judith. Ce sont là des hommes qui n’ouvrent jamais la bouche sans avoir bien réfléchi et bien ruminé. L’inimitié les a rendus réfléchis, et une langue agile n’est pas une grande recommandation autour du feu de leur conseil.

— J’ose dire que la langue de March se donne assez de liberté quand elle s’exerce sur Judith Hutter et sa sœur, dit-elle avec une sorte de dédain insouciant. La réputation des jeunes filles est un sujet agréable de conversation pour certaines gens qui n’oseraient ouvrir la bouche si elles avaient un frère pour les défendre. Maître March peut trouver du plaisir à lancer des sarcasmes contre nous, mais tôt ou tard il s’en repentira.

— C’est prendre la chose trop au sérieux, Judith ; jamais Hurry n’a prononcé devant moi une syllabe contre la bonne renommée de votre sœur, pour commencer par elle, et…

— J’entends, je vois ce que c’est, s’écria Judith avec impétuosité ; je suis la seule que sa langue de vipère ait jugé à propos d’attaquer. Hetty ! la pauvre Hetty ! et sa voix prit alors un ton bas et presque rauque, qui aurait fait croire que la respiration lui manquait en parlant, elle est au-dessus ou au-dessous de ses calomnies et de sa méchanceté. Si Dieu l’a créée faible d’esprit, cette faiblesse est de nature à l’empêcher de tomber dans des erreurs dont elle ne se fait pas une idée. Il n’y a pas sur la terre un être plus pur que Hetty Hutter, Deerslayer.

— Je le crois ; oui, je crois cela, Judith, et j’espère qu’on peut en dire autant de sa charmante sœur.

La voix de Deerslayer avait un accent de vérité qui émut la sensibilité de Judith, et l’allusion qu’il avait faite à sa beauté n’en diminua pas l’effet sur une femme qui ne connaissait que trop bien le pouvoir de ses charmes. Cependant la voix de sa conscience ne fut pas étouffée, et ce fut elle qui lui dicta sa réponse, après quelques instants de réflexion.

— J’ose dire qu’il a fait quelques-unes de ses indignes insinuations relativement aux officiers des forts. Il sait que ce sont des hommes bien élevés, et il ne peut pardonner à personne d’être ce qu’il sent qu’il ne sera jamais.

— Non certainement dans ce sens de devenir un officier du roi, Judith ; March n’a reçu aucun don du ciel pour cela ; mais dans le sens de la réalité, pourquoi un chasseur de castors ne pourrait-il