Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.
500
DEERSLAYER

m’aimer. Dites-moi donc, Deerslayer ; — ici elle s’arrêta ; les mots qu’elle allait prononcer semblaient l’étouffer ; cependant, ralliant tout son courage, tandis que ses joues, changeant de couleur à chaque instant, passèrent rapidement de la rougeur la plus vive à la pâleur de la mort : — dites-moi si Henri March ne vous a rien dit qui ait pu avoir de l’influence sur vos sentiments ?

La vérité était l’étoile polaire de Deerslayer ; il l’avait toujours en vue, et il lui était presque impossible d’éviter de la dire, même quand la prudence exigeait le silence. Judith lut sa réponse dans ses traits, et, le cœur presque brisé par le sentiment intime qui lui disait qu’elle la méritait, elle lui fit à la hâte un signe d’adieu, et s’enfonça dans la forêt en courant. Pendant quelques instants, Deerslayer resta indécis sur ce qu’il devait faire ; mais enfin il retourna sur ses pas, et alla rejoindre les deux Delawares. Ils campèrent tous trois cette nuit sur les bords de la rivière qui porte le même nom, et le lendemain soir ils arrivèrent dans un des villages de la tribu, Chingachgook et Hist en triomphe, leur compagnon comme un guerrier admiré et honoré, mais accablé d’un chagrin qu’il fallut plusieurs mois d’activité pour dissiper.

La guerre qui venait de commencer fut active et sanglante. Chingachgook se distingua par ses exploits, au point que son nom n’était jamais prononcé sans éloges ; et un an après, un autre Uncas, le dernier de sa race, fut ajouté à la longue ligne de guerriers qui avaient illustré ce nom dans la tribu des Mohicans. Quant à Deerslayer, il se fit une grande réputation sous le nom de Hawkeye, ou Œil-de-Faucon, comme on l’appelait dans le Canada, et le son de sa carabine devint aussi redoutable aux oreilles des Mingos que la foudre du Manitou. Ses services furent bientôt mis en réquisition par les officiers de l’armée, et il s’attacha particulièrement à l’un d’eux, avec qui il eut des rapports constants pendant presque toute sa vie.

Quinze ans se passèrent avant que Deerslayer eût l’occasion de revoir le lac de Glimmerglass. Après plusieurs années de paix, on était à la veille d’une nouvelle guerre encore plus importante que la précédente, et il marchait vers les forts du Mohawk avec son constant ami Chingachgook pour se joindre aux Anglais. Un jeune homme de quatorze ans les accompagnait, car Hist sommeillait déjà sous les pins des Delawares, et ce trio était devenu inséparable. Ils arrivèrent sur les bords du lac comme le soleil se couchait. Rien n’y était changé. Le Susquehannah en sortait toujours entre des rives élevées et sous un dôme de feuillage ; le petit rocher était