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OU LE TUEUR DE DAIMS.

Pendant le reste de la route qu’ils avaient à faire, pas un mot ne fut échangé entre le jeune chasseur et sa belle compagne. Comme Judith était assise sur l’avant de la pirogue, elle avait nécessairement le dos tourné vers Deerslayer, sans quoi il est probable que l’expression des traits de la jeune fille l’aurait porté à se hasarder à lui adresser quelques mots d’amitié ; car, contre tout ce qu’on aurait pu supposer, le ressentiment n’était pas entré dans le cœur de Judith, quoique ses joues fussent empreintes, tantôt de la rougeur de la mortification, tantôt de la pâleur du chagrin. Ce dernier sentiment était pourtant celui qui avait l’ascendant, et il était visible à ne pouvoir s’y méprendre.

Comme ils s’étaient arrêtés, et qu’ils n’avaient pas fait ensuite de grands efforts en ramant, l’arche était arrivée, et les soldats avaient débarqué quand la pirogue toucha au rivage. Chingachgook était à quelque distance avant eux ; mais il s’était arrêté avec Hist pour attendre Deerslayer dans un endroit d’où il fallait suivre deux routes différentes pour aller, d’un côté sur les bords du Mohawk, et de l’autre dans les villages des Delawares. Les soldats avaient pris le premier chemin, après avoir repoussé l’arche dans le lac, sans s’inquiéter de ce qu’elle deviendrait. Judith vit tout cela, mais sans y faire attention : le Glimmerglass n’avait plus de charmes pour elle. Dès qu’elle eut mis le pied sur le sable, elle marcha rapidement en avant sans jeter un seul coup d’œil en arrière, et elle passa même près de Hist sans faire attention à elle, — peut-être sans la voir ; et la jeune Indienne timide n’osa pas essayer d’attirer sur elle les regards de la belle blanche.

— Attendez-moi ici, Serpent, dit Deerslayer, qui suivait les pas de Judith, quand il arriva près de Chingachgook ; je vais conduire Judith jusqu’au détachement, et je viendrai vous rejoindre.

Quand ils furent à une centaine de toises des deux Delawares, et à peu près à la même distance du détachement, Judith se retourna.

— Cela suffit, Deerslayer, dit-elle d’un ton mélancolique ; je suis sensible à votre attention, mais elle est inutile ; dans quelques minutes, j’aurai rejoint le détachement. Comme vous ne pouvez faire avec moi le voyage de la vie, je ne désire pas que vous continuiez plus longtemps celui-ci avec moi. — Mais un instant ; avant de nous séparer, je voudrais vous faire une seule question, et je vous conjure, au nom de votre amour pour la vérité, au nom de la crainte que vous devez avoir de Dieu, ne me trompez point par votre réponse. — Je sais que vous n’aimez aucune autre femme, et je ne vois qu’une raison qui vous empêche de pouvoir, — de vouloir