Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/479

Cette page a été validée par deux contributeurs.
474
DEERSLAYER

L’intention des Hurons n’était pourtant pas d’ôter la vie à leur victime par le moyen du feu ; leur but était uniquement de mettre à l’épreuve son courage moral en l’exposant à la plus forte chaleur que le corps humain puisse supporter sans mourir. Leur dessein était de finir par emporter avec eux sa chevelure, mais ils voulaient d’abord vaincre sa résolution, et arracher de lui des gémissements, des plaintes, des cris de douleur. Dans cette vue, le bûcher avait été placé à une distance convenable de l’arbre, où la chaleur pût bientôt devenir insupportable sans mettre ses jours en danger. Néanmoins, comme cela arrivait souvent en pareilles occasions, la distance n’avait pas été bien calculée, et les flammes commençaient à darder leurs langues fourchues à une proximité du visage de la victime qui lui aurait été fatale un moment plus tard, quand Hetty, armée d’un bâton, se précipita à travers la foule, et dispersa de tous côtés les branches embrasées. Plus d’une main se leva pour punir cette audace ; mais les chefs réprimèrent le courroux de leurs jeunes compagnons, en leur rappelant la faiblesse d’esprit de la coupable. Hetty était insensible au risque qu’elle courait ; mais dès qu’elle eut exécuté cet acte audacieux, elle resta debout au milieu du cercle, regardant autour d’elle, les sourcils froncés, comme si elle eût voulu reprocher aux sauvages leur barbarie.

— Que Dieu vous récompense de cet acte de bravoure et de présence d’esprit, chère sœur ! murmura Judith, abattue à un tel point qu’elle était incapable de tout mouvement. C’est Dieu lui-même qui vous avait donné cette sainte mission.

— L’intention était bonne, Judith, dit la victime ; elle était excellente, et il en était temps ; car si j’avais avalé en respirant une bouffée de ces flammes, tout le pouvoir des hommes ne pouvait me sauver la vie. S’il doit arriver quelque chose, il faut que cela arrive bientôt, sans quoi il sera trop tard. Vous voyez qu’ils ont attaché mon front à l’arbre avec un bandeau, pour ne laisser aucune chance à ma tête. Oui, l’intention était bonne, mais il y aurait peut-être eu plus de pitié à laisser les flammes faire leur devoir.

— Cruels Hurons, Hurons sans pitié ! s’écria Hetty avec indignation ; voudriez-vous brûler un homme, un chrétien, comme vous brûleriez une souche de bois ? Ne lisez-vous donc jamais la Bible ? Croyez-vous que Dieu puisse jamais oublier une telle atrocité ?

À un geste de Rivenoak, on réunit les tisons épars, tandis que les femmes et les enfants s’occupaient avec activité à ramasser et à apporter de nouvelles branches sèches. La flamme se montrait pour la seconde fois, quand une jeune Indienne se fit jour pour entrer