Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/455

Cette page a été validée par deux contributeurs.
450
DEERSLAYER

mait de toute son énergie pour subir son destin avec un calme qui fît honneur à sa couleur et à son courage, sans montrer de lâches alarmes ni s’abaisser à une jactance sauvage.

Quand Rivenoak arriva dans le cercle, il y reprit la place qu’il y avait occupée la première fois. Plusieurs des guerriers les plus âgés étaient près de lui ; mais, depuis la mort de la Panthère, il n’existait aucun chef dont l’influence put balancer son autorité. On sait pourtant qu’il n’entrait rien de ce qu’on peut appeler monarchique ou despotique dans l’association des tribus sauvages du nord de l’Amérique, quoique les premiers colons, apportant avec eux les idées et les opinions de leur pays, accordassent souvent les titres de rois et de princes aux principaux chefs de ces peuplades primitives. L’influence y était certainement héréditaire ; mais il y a tout lieu de croire qu’elle existait plutôt comme suite d’un mérite héréditaire ou de qualités acquises, que comme un droit résultant de la naissance. Rivenoak ne devait rien à la sienne. Il ne devait son rang qu’à ses talents et à sa sagacité, et, comme le dit Bacon en parlant en général des hommes d’État distingués, — à une réunion de grandes qualités et de bassesse ; — vérité dont la carrière de cet homme célèbre offre elle-même un exemple.

Après les armes, l’éloquence est la route la plus sûre à la faveur populaire, dans la vie civilisée comme dans la vie sauvage, et Rivenoak, comme tant d’autres avant lui, avait réussi, autant en rendant le mensonge agréable à ses auditeurs qu’en leur exposant savamment la vérité, ou en développant une saine logique. Il avait pourtant obtenu une grande influence, et il n’était certainement pas sans y avoir des droits. Le chef huron n’était pas porté, comme tous les hommes qui raisonnent plus qu’ils ne sentent, à lâcher toujours la bride aux passions les plus féroces de sa tribu. On l’avait trouvé, en général, du côté de la merci dans toutes les scènes de torture causées par un esprit de vengeance depuis qu’il était arrivé au pouvoir. Dans l’occasion présente, il lui répugnait d’en venir aux dernières extrémités, quelque forte qu’eût été la provocation ; mais il ne voyait pas trop comment il pourrait l’éviter. Le Sumac était plus irritée du refus qu’elle avait essuyé que de la mort de son mari et de son frère, et il était peu probable qu’elle pardonnât à un homme qui, en termes si peu équivoques, avait préféré la mort à sa main. Sans ce pardon pourtant il y avait peu d’apparence que la tribu oubliât la double perte qu’elle avait faite, et Rivenoak lui-même, quoique disposé à l’indulgence, regardait le destin de Deerslayer comme à peu près décidé.