Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/429

Cette page a été validée par deux contributeurs.
424
DEERSLAYER

vous venez de dire ? Ils m’ont paru avoir de la douceur et de la bonté.

— Oui, à l’égard d’une fille comme vous, Hetty, mais quand il s’agit d’un ennemi, et d’un ennemi portant une carabine dont il sait passablement se servir, c’est une autre affaire. Je ne dis pas qu’ils aient une haine particulière contre moi à cause de ce que j’ai déjà fait, car ce serait me vanter, comme on pourrait dire, sur le bord de ma fosse ; mais il n’y a point de vanité à dire qu’ils savent que j’ai donné la mort à l’un de leurs plus braves guerriers ; et toute leur tribu leur ferait un reproche s’ils n’envoyaient pas l’esprit d’une Face-Pâle tenir compagnie à l’esprit d’un de leurs frères rouges, toujours en supposant qu’il puisse le rejoindre. Je n’attends d’eux aucune merci, et mon principal chagrin est d’avoir rencontré cette calamité sur mon premier sentier de guerre, car c’est un accident auquel tout soldat doit s’attendre tôt ou tard.

— Les Hurons ne vous feront aucun mal, Deerslayer, s’écria Hetty fortement agitée ; — ce serait une perversité et une cruauté : j’ai la Bible avec moi pour le leur prouver. Croyez-vous que je vous aie accompagné pour vous voir mettre à la torture ?

— Non certainement, ma bonne Hetty, non ; et c’est pourquoi j’espère que, lorsque le moment en sera venu, vous vous retirerez, afin de ne pas être témoin de ce qui vous affligerait et que vous ne pourriez empêcher. Mais je n’ai pas cessé de ramer pour vous entretenir de mes embarras et de mes difficultés ; c’est de ce qui vous concerne vous-même que je veux parler le plus clairement possible.

— Que pouvez-vous avoir à me dire sur ce sujet, Deerslayer ? Personne ne m’en a parlé depuis que ma mère est morte.

— Tant pis, ma pauvre fille, tant pis ; car, avec votre faiblesse d’esprit, vous avez besoin qu’on vous en parle souvent, pour vous mettre en état d’éviter les pièges et les embûches de ce monde pervers. — Je suppose que vous n’avez pas encore oublié Hurry Harry ?

— Moi ! — moi avoir oublié Harry March ! — Comment pourrais-je l’avoir oublié, puisqu’il est notre ami, et qu’il ne nous a quittés que la nuit dernière ? La grande et belle étoile que ma mère aimait tant à regarder se montrait tout juste au-dessus de la cime de ce grand pin sur cette montagne quand il est entré dans la pirogue ; et quand vous l’avez mis à terre sur la pointe de la baie de l’est, elle ne s’était élevée au-dessus que de la longueur du plus beau ruban de Judith.