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OU LE TUEUR DE DAIMS.

saurait dire ce qui peut arriver. D’ailleurs… d’ailleurs…

— D’ailleurs ? — Que voulez-vous dire, Deerslayer ? demanda Judith, dont la voix et les manières avaient une douceur qui allait presque jusqu’à la tendresse, quoiqu’elle fît les plus grands efforts pour maîtriser son émotion et ses craintes.

— D’ailleurs il peut se passer des choses dont il vaut mieux que les yeux d’une jeune fille comme Hetty ne soient pas témoins, quoiqu’elle soit douée de si peu de raison et de mémoire. Ainsi vous feriez mieux de me laisser partir seul, et de la retenir ici.

— Ne craignez rien pour moi, Deerslayer, dit Hetty ; je suis faible d’esprit, et l’on dit que c’est une sauvegarde pour pouvoir aller partout ; si ce n’en est pas une, j’en trouverai une autre dans la Bible que je porte toujours avec moi. — C’est étonnant, Judith, combien les hommes de toute espèce, trappeurs et chasseurs, rouges et blancs, Mingos et Delawares, ont de crainte et de respect pour la Bible.

— Je suis convaincu que vous n’avez réellement rien à craindre, Hetty, dit Judith, et c’est pourquoi j’insiste pour que vous alliez au camp des Hurons avec notre ami. Cela ne peut nuire à personne, pas même à vous, et votre présence peut être fort utile à Deerslayer.

— Ce n’est pas le moment de disputer, Judith ; il en sera donc ce qu’il vous plaira. — Allez vous préparer, Hetty, et attendez-moi sur la pirogue, car j’ai quelques mots à dire à votre sœur avant de partir, et il est inutile que vous les entendiez.

Judith et son compagnon gardèrent le silence jusqu’à ce que Hetty les eût laissés seuls. Alors Deerslayer reprit la parole comme s’il eût été interrompu par l’incident le plus ordinaire, et sans aucun signe extérieur d’émotion.

— Des paroles prononcées à l’instant d’une séparation, et qui peuvent être les dernières qu’on entendra sortir de la bouche d’un ami, ne s’oublient pas facilement, comme je vous l’ai déjà dit ; ainsi, Judith, je vous parlerai comme un frère, vu que je ne suis pas assez vieux pour pouvoir dire comme un père. D’abord, je veux vous mettre en garde contre vos ennemis. Vous en avez deux qui ne vous perdent pas de vue, et qui, pour ainsi dire, vous marchent sur les talons. Le premier est une beauté peu commune, ce qui est pour quelques jeunes filles un ennemi aussi dangereux que tout une peuplade de Mingos ; et ce qui exige beaucoup de vigilance, non pour se soustraire à l’admiration et aux éloges, mais pour s’en méfier et pour en déjouer l’astuce. Pour cela il ne faut que se souvenir que la beauté, fond comme la neige, et qu’une fois partie elle ne revient plus. Les saisons s’en vont et reviennent. Si nous avons