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DEERSLAYER

guère qu’il était dans les intentions de cette Providence impénétrable qui couvre tous les événements de son manteau avec une uniformité si mystérieuse, que cette faute, qu’il était disposé à se reprocher si sévèrement, devînt le moyen de déterminer son propre destin dans ce monde. Il serait prématuré de dire ici de quelle manière, et dans quel instant l’influence de cette intervention devait se faire sentir, mais on le verra dans le cours des chapitres suivants. Le jeune chasseur quitta l’arche d’un air chagrin, et alla s’asseoir en silence sur la plate-forme. Le soleil était déjà parvenu à une certaine hauteur, et cette circonstance, jointe aux idées qui l’occupaient, le porta à se préparer à partir. Dès que le Delaware s’aperçut du dessein de son ami, il alla apprêter la pirogue, et Hist s’occupa des petits arrangements qu’elle crut pouvoir lui être agréables. Tout cela se fit sans aucune ostentation, mais Deerslayer s’en aperçut et sut en apprécier le motif. Lorsque tout fut prêt, ils vinrent rejoindre les deux sœurs, qui n’avaient pas quitté l’endroit où le jeune chasseur s’était assis.

— Il faut que les meilleurs amis se séparent, dit celui-ci quand il les vit tous groupés autour de lui. — L’amitié ne peut rien changer aux voies de la Providence, et quels que puissent être nos regrets, il faut que nous nous quittions. J’ai souvent pensé qu’il y a des moments où nos paroles font sur l’esprit une impression plus qu’ordinaire, et où l’on se rappelle plus longtemps un avis qu’on a reçu, et c’est quand il est probable que c’est le dernier qui sortira de la bouche qui le donne. Personne ne sait ce qui peut arriver dans le monde ; il n’est donc pas mal à propos, quand des amis se quittent et qu’il peut arriver que la séparation soit longue, de se dire quelques mots par forme de souvenir : si vous voulez tous, à l’exception d’un seul, passer sur l’arche, je vous parlerai tour à tour, et, ce qui est encore plus, j’écouterai ce que vous aurez à me dire ; car c’est un pauvre donneur d’avis que celui qui ne veut pas en recevoir.

Dès qu’il eut exprimé ses désirs, les deux Indiens se retirèrent, laissant les deux sœurs à côté de lui ; un regard de Deerslayer engagea Judith à s’expliquer.

— Vous pouvez donner vos avis à Hetty en vous rendant à terre, dit-elle précipitamment ; mon intention est qu’elle vous y accompagne.

— Cela est-il sage, Judith ? Il est vrai qu’en général la faiblesse d’esprit est une grande protection parmi les Peaux-Rouges ; mais quand les Indiens sont courroucés et altérés de vengeance, on ne