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DEERSLAYER

tisfait. Si Natty Bumppo se nommait Henry March, ce dernier nom me paraîtrait le plus agréable des deux, et le nom de Bumppo me paraîtrait horrible s’il était porté par Henry March.

— C’est cela même, oui, j’en vois la raison. Moi qui vous parle, j’ai une aversion naturelle pour les serpents ; leur nom seul me fait horreur, et les missionnaires m’ont dit que cela est dans la nature humaine à cause d’un certain serpent qui, lors de la création du monde, a trompé la première femme ; cependant, depuis que Chingachgook a mérité le titre de Grand-Serpent, ce nom est aussi doux à mon oreille que le chant des oiseaux au coucher du soleil par une belle soirée. Oui, c’est le sentiment, Judith, qui fait toute la différence dans les sons comme dans les traits.

— Cela est si vrai, Deerslayer, que je ne puis comprendre que vous trouviez étonnant qu’une jeune fille qui peut avoir quelque beauté ne juge pas nécessaire que son mari possède le même avantage, ou ce que vous regardez, vous autres hommes, comme un avantage en nous. Là beauté d’un homme n’est rien pour moi, pourvu que ses traits proclament l’honnêteté de son cœur.

— Oui, l’honnêteté est le plus grand avantage à la longue ; et ceux qui l’oublient le plus facilement en commençant, sont ceux qui le reconnaissent le mieux à la fin. Cependant, Judith, il y a bien des gens qui pensent plus aux profits actuels qu’aux avantages qu’il faut attendre du temps : ils regardent les uns comme assurés, et les autres comme incertains. Je suis pourtant charmé que vous voyiez les choses sous leur véritable point de vue, au lieu de les envisager comme ceux qui cherchent à se tromper eux-mêmes.

— C’est ainsi que je les regarde, Deerslayer, dit Judith avec emphase, quoique sa retenue naturelle ne lui permît pas d’en venir à une offre directe de sa main ; et je puis dire du fond du cœur que je confierais plutôt le soin de mon bonheur à un homme qui n’aurait pour lui que sa franchise et ses sentiments honnêtes, qu’à un misérable à cœur faux et à langue fausse, qui posséderait des caisses pleines d’or, des maisons, des terres ; oui, et qui serait même assis sur un trône.

— Ce sont de belles paroles, Judith ; oui, véritablement de belles paroles ; mais croyez-vous que le même sentiment les accompagnerait, si vous étiez au fait et au prendre ? Si vous aviez d’un côté un jeune galant en habit écarlate, dont la tête laisserait après elle une piste comme le pied d’un daim, le visage lisse et vermeil comme le vôtre, les mains aussi douces et aussi blanches que si Dieu ne les