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OU LE TUEUR DE DAIMS.

pas aussi souvent que vous le faisiez quand vous étiez plus jeune, Judith.

— N’y songez pas, Hetty ; peu importe à présent. Nous avons perdu notre mère, Thomas Hutter l’a suivie ; le temps est venu où nous devons penser et agir par nous-mêmes.

Tandis que la pirogue s’éloignait lentement du banc, sous la douce impulsion de la rame de la sœur aînée, la cadette était assise, d’un air réfléchi, comme c’était son usage quand une idée plus abstraite et plus difficile à comprendre que de coutume mettait l’embarras dans son esprit.

— Je ne sais ce que vous entendez par l’avenir, Judith, dit-elle enfin tout à coup. Ma mère avait coutume d’appeler le ciel l’avenir, et vous semblez employer ce mot pour signifier la semaine prochaine ou demain.

— Il s’emploie dans les deux sens, chère sœur. Il signifie tout ce qui est encore à venir dans ce monde et dans l’autre. Dans le premier sens, c’est un mot solennel, et surtout, à ce que je crains, pour ceux qui y songent le moins. L’avenir de ma mère est l’éternité. Pour nous, ce mot peut signifier tout ce qui arrivera tant que nous serons dans ce monde. Mais n’est-ce pas une pirogue qui passe derrière le château ? Ici, plus dans la direction de la pointe. À présent elle est cachée, mais je l’ai vue certainement passer derrière la palissade.

— Je l’ai déjà vue depuis quelque temps, répondit Hetty tranquillement, car les Hurons lui inspiraient peu de crainte, mais je n’ai pas cru convenable de parler de pareilles choses sur la tombe de notre mère. Cette pirogue venait du camp des Hurons, et elle était conduite par un seul homme. Ce n’était pas un Indien, et il m’a semblé que c’était Deerslayer.

— Deerslayer ! s’écria Judith avec son impétuosité naturelle, cela est impossible. Deerslayer est prisonnier, et j’ai songé aux moyens de lui rendre la liberté. Pourquoi avez-vous cru que c’était lui ?

— Regardez vous-même, ma sœur ; voilà la pirogue qui se montre de ce côté du château.

Hetty ne se trompait pas. La légère nacelle, ayant passé derrière le bâtiment, s’avançait alors lentement vers l’arche, et ceux qui se trouvaient à bord du scow étaient déjà réunis sur l’avant pour recevoir leur visiteur. Il ne lui fallut qu’un coup d’œil pour convaincre Judith que sa sœur avait raison et que Deerslayer était seul dans cette pirogue. Cependant il ramait avec tant de calme et de tranquillité, que Judith en fut très-surprise, car un homme qui, par