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LE TUEUR DE DAIMS.

aimées ; un père pouvait-il faire davantage ? Je ne conçois pas comment il n’est pas notre père.

— N’y pensez pas, ma sœur, et faisons ce que vous avez proposé. Restons ici, et que l’arche s’éloigne, cela est plus convenable. Préparez la pirogue, et je ferai part de nos désirs à Hurry et aux Indiens.

Tout cela s’exécuta de la manière la plus simple. Le battement mesuré des avirons éloigna l’arche d’une cinquantaine de toises, tandis que les deux sœurs, stationnaires sur le banc, semblaient flotter sur l’air, tant leur petite nacelle était légère, tant l’élément qui la soutenait était limpide.

— La mort de Thomas Hutter, dit Judith après avoir laissé quelques instants à sa sœur pour se préparer à l’écouter, a changé tout notre avenir, Hetty. Mais, s’il n’était pas notre père, nous n’en sommes pas moins sœurs, et nous devons avoir les mêmes sentiments et la même habitation.

— Que sais-je, Judith, si vous ne seriez pas aussi charmée d’apprendre que je ne suis pas votre sœur, que vous l’avez été de savoir que Thomas Hutter, comme vous l’appelez, n’était pas votre père ? Je n’ai que la moitié de l’esprit qu’ont les autres, et peu de personnes aiment à avoir des parents qui n’ont de l’esprit qu’à moitié. Ensuite je ne suis pas belle, — du moins je ne le suis pas autant que vous, — et vous aimeriez peut-être à avoir une sœur plus belle que moi.

— Non, Hetty, non. Vous êtes ma sœur, ma sœur unique, mon cœur et mon affection pour vous m’en assurent, et votre mère était la mienne ; j’en suis charmée, car c’est une mère dont on peut être fière ; mais Thomas Hutter n’était pas notre père.

— Chut, Judith ! Son esprit peut être près de nous, et il serait affligé d’entendre ses enfants parler ainsi, et cela même sur sa tombe. Ma mère m’a souvent dit que les enfants ne doivent jamais faire de peine à leurs parents, et surtout après leur mort.

— Pauvre Hetty ! Nous ne pouvons causer aux nôtres ni peine ni plaisir à présent. Rien de ce que je puis dire ou faire ne peut affliger notre mère aujourd’hui ; et rien de ce que vous pouvez faire ou dire ne peut la faire sourire comme elle souriait en voyant votre bonne conduite.

— Vous n’en savez rien, Judith, les esprits peuvent voir, et ma mère est un esprit à présent. Elle nous disait toujours que Dieu voit tout ce que nous faisons ; et à présent qu’elle nous a quittées, je fais tous mes efforts pour ne rien faire qui puisse la chagriner. Songez quelle affliction aurait son esprit, Judith, s’il voyait l’une