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CHAPITRE XXII.


Cet excès de misère qui fait que l’homme opprimé ne tient plus compte de sa propre vie, le rend aussi maître de l’oppresseur.
Coleridge


Pendant ce temps, Hetty était restée assise sur l’avant du scow, les yeux tristement fixés sur l’eau qui servait de sépulcre au corps de sa mère et à celui de l’homme qu’elle avait cru son père. Hist était près d’elle, l’air doux et tranquille, mais sans lui adresser des paroles de consolation. Les habitudes de sa nation étaient pour elle une leçon de réserve à cet égard, et celles de son sexe la portaient à attendre patiemment l’instant où elle pourrait lui montrer sa compassion et l’intérêt qu’elle prenait à elle, par des actions plutôt que par des discours. Chingachgook se tenait un peu à l’écart, joignant à l’air grave d’un guerrier indien la sensibilité d’un homme.

Judith alla rejoindre sa sœur avec une dignité solennelle, qui ne lui était pas ordinaire ; et quoique des traces d’angoisses fussent encore visibles sur ses beaux traits, elle lui parla sans le moindre tremblement dans la voix et d’un ton ferme. En cet instant, Hist et le Delaware se retirèrent, et s’avancèrent vers Hurry à l’autre extrémité du scow.

— Ma sœur, dit Judith avec bonté, j’ai bien des choses à vous dire ; entrons dans cette pirogue, et éloignons-nous à quelque distance de l’arche. — Toutes les oreilles ne doivent pas entendre les secrets de deux orphelines.

— Mais cela ne s’étend certainement pas à celles de leurs parents, Judith. Que Hurry lève le grappin, et s’éloigne avec l’arche, et nous, restons ici ; nous pouvons parler librement près de la tombe de notre père et de notre mère.

— De notre père ! répéta Judith, le sang lui montant aux joues pour la première fois depuis qu’elle avait quitté Hurry. — Il n’était pas notre père, Hetty ; nous l’avons appris de sa propre bouche, et cela dans ses derniers moments.

— Êtes-vous charmée, Judith, de savoir que vous n’avez pas de père ? Il a pris soin de nous, il nous a nourries et vêtues, il nous a