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DEERSLAYER

— Le gouverneur ou les gens du roi ont-ils donné un nom à ce lac ? demanda-t-il tout d’un coup, comme frappé d’une nouvelle idée. S’ils n’ont pas encore commencé à marquer leurs arbres, à étendre leurs compas et à tracer des lignes sur leurs cartes, il n’est pas probable qu’ils aient songé à troubler la nature par un nom.

— Ils n’en sont pas encore arrivés là. La dernière fois que j’ai été vendre mes peaux, un des arpenteurs du roi me fit des questions sur les environs de ce canton. Il avait entendu dire qu’il s’y trouvait un lac, et il s’en faisait une idée générale, comme par exemple qu’il y avait de l’eau et des montagnes ; mais combien y en avait-il, c’est ce qu’il ne savait pas plus que vous ne savez la langue des Mohawks. Je n’ouvris pas la trappe plus qu’il n’était nécessaire, et je ne lui donnai pas beaucoup d’encouragement pour défricher les bois et établir des fermes. En un mot, je laissai dans son esprit une idée de ces environs semblable à celle qu’on peut se faire d’une source d’eau trouble à laquelle on ne peut arriver que par un chemin si bourbeux, qu’on s’y engouffre avant de partir. Il me dit qu’il n’avait pas encore mis ce lac sur sa carte ; mais je crois que c’est une méprise, car il me la montra, et il y avait placé un lac dans un endroit où il n’en existe aucun, et qui est à cinquante milles du lieu où il devrait être, si c’est celui-ci qu’il a eu en vue. Je ne crois pas que ce que je lui en ai dit l’engage à en ajouter un autre.

Ici Hurry se mit à rire de tout son cœur, car de pareils tours étaient particulièrement du goût de ceux qui craignaient les approches de la civilisation comme tendant à diminuer l’étendue de leur empire. Les erreurs grossières qui existaient dans les cartes de ce pays, qui toutes étaient faites en Europe, étaient parmi eux un sujet constant de risée ; car s’ils n’étaient pas assez savants pour faire mieux eux-mêmes, ils avaient assez de connaissances locales pour découvrir les méprises palpables qui s’y trouvaient. Quiconque voudra prendre la peine de comparer ces preuves inexplicables de la science topographique de nos ancêtres il y a un siècle, aux détails plus exacts que nous possédons aujourd’hui, reconnaîtra sur-le-champ que les hommes qui habitaient les bois étaient assez excusables de critiquer le manque de connaissance en cette partie des gouvernements coloniaux, qui n’hésitaient pas un instant à mettre un lac ou un fleuve à un degré ou deux hors de leur place véritable, même quand ils n’étaient qu’à une journée de marche des parties habitées du pays.

— Je suis charmé qu’il n’ait pas de nom, reprit Deerslayer, ou du moins qu’il n’en ait pas un qui lui ait été donné par les Faces Pâles ;