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DEERSLAYER

blanche qui avait servi de linceul à la défunte. Le corps avait été descendu au fond de l’eau sur le banc, et Hutter avait apporté de la terre du rivage et en avait jeté sur le corps jusqu’à ce qu’il fût entièrement couvert. Tout était resté dans cet état jusqu’à ce que le mouvement des eaux eût fait reparaître le signe solitaire de l’usage qu’on en avait fait, comme on vient de le rapporter. March annonça à Judith que tout était prêt ; il reçut ses instructions, et sans autre aide que sa force sans égale, souleva le corps, et le porta sur le bord du bateau. Deux bouts d’une corde furent placés sous les jambes et sous les épaules du défunt, comme on les place sous un cercueil, après quoi le corps fut descendu lentement sous la surface du lac.

— Pas là, Hurry March ; non, pas là ! s’écria Judith frémissant involontairement ; ne le descendez pas si près de l’endroit où ma mère repose.

— Pourquoi donc, Judith ? demanda Hetty avec vivacité. Ils ont vécu ensemble pendant leur vie, ils doivent reposer ensemble après leur mort.

— Non, non ! reprit Judith. Plus loin, Hurry March, plus loin ! — Pauvre Hetty ! vous ne savez pas ce que vous dites. Laissez-moi donner des ordres en cette occasion.

— Je sais que je suis faible d’esprit, Judith, répliqua Hetty, et que vous êtes pleine d’intelligence ; mais sûrement un mari doit être placé près de sa femme. Ma mère disait toujours que c’est ainsi qu’on enterre dans les cimetières chrétiens.

Cette petite discussion eut lieu avec chaleur, mais à voix basse, comme si les deux sœurs eussent craint que le défunt ne pût les entendre. Judith ne pouvait continuer cette contestation avec sa sœur dans un pareil moment ; mais elle fit un geste expressif qui décida Hurry March à descendre le corps du défunt à une légère distance de celui de sa femme ; alors il retira les cordes, et la cérémonie fut terminée.

— Voilà la fin de Tom Flottant ! s’écria-t-il en avançant la tête au-delà du bord pour regarder le corps au fond de l’eau. C’était un brave compagnon dans une poursuite, et personne ne savait mieux tendre une trappe. — Ne pleurez pas, Judith ; ne vous désolez pas, Hetty ; le plus juste de nous doit mourir, et quand le moment en est arrivé, les larmes et les lamentations ne peuvent rappeler la mort à la vie. La mort de votre père est une perte pour vous. C’en est une grande, surtout pour des filles non mariées. Mais il y a un moyen de réparer ce malheur ; et vous êtes toutes deux trop jeunes