Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
DEERSLAYER

effet que l’approche du moment de l’exécution produit en général sur le criminel condamné, et avait laissé sur son imagination une forte impression des horreurs de la mort ; car l’audace de cet homme était la suite de sa force physique plutôt que de l’énergie de son esprit ou de sa volonté. De semblables héros perdent toujours une grande partie de leur courage en perdant quelque chose de leur force, et quoique Hurry fût alors libre et aussi vigoureux que jamais, l’événement était trop récent pour que le souvenir de la déplorable situation dans laquelle il s’était trouvé fût déjà affaibli. Quand il aurait vécu un siècle, le petit nombre de minutes qu’il avait passées dans le lac auraient produit un changement salutaire dans son caractère, sinon dans ses manières.

Il fut aussi surpris que fâché de trouver son compagnon dans une situation si désespérée. Pendant la lutte qui avait eu lieu avec les Hurons, il avait été trop occupé lui-même pour pouvoir apprendre ce qui était arrivé à Hutter, et comme on n’avait employé contre lui aucune espèce d’armes, et qu’on s’était borné à faire les plus grands efforts pour le faire prisonnier, il croyait naturellement que les Hurons s’étaient rendus maîtres de la personne de Hutter, et qu’il ne leur avait échappé lui-même qu’à l’aide de sa plus grande force, et du concours heureux de circonstances extraordinaires. La mort dans le silence solennel d’une chambre était une nouveauté pour lui. Quoique habitué à des scènes de violence, il n’avait jamais été assis à côté du lit d’un mourant, comptant les battements d’un pouls qui s’affaiblissait à chaque instant. Malgré le changement subit survenu dans ses idées, le ton et les manières de toute sa vie ne pouvaient changer si rapidement, et les paroles qu’il adressa à Hutter portaient l’empreinte qui le caractérisait.

— Eh bien ! vieux Tom, lui dit-il, ces vagabonds ont donc eu le dessus avec vous ? Vous voilà couché sur vos planches, et probablement pour ne plus vous relever. Il est vrai que je vous croyais prisonnier, mais je ne m’attendais guère à vous trouver si bas.

Hutter entrouvrit ses yeux demi-éteints, et jeta un regard égaré sur celui qui lui parlait ainsi. Une foule de souvenirs confus se présentèrent à son esprit en voyant des traits qu’il connaissait, mais les images qui s’offraient à ses yeux étaient indistinctes, et il ne pouvait dire quelles étaient les fausses ou la véritable.

— Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il à demi-voix, ses forces ne lui permettant pas de faire un effort pour parler plus haut ; — vous ressemblez au lieutenant de la Neige, — c’était un géant, et peu s’en fallut qu’il ne nous donnât notre compte.