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OU LE TUEUR DE DAIMS.

à chaque instant, quoique si lentement, qu’on voyait à peine sur l’eau son sillage. La pirogue des deux filles de Hutter était au moins à un quart de mille de l’arche, et il était évident qu’elles voulaient se tenir à l’écart, attendu l’ignorance où elles étaient de ce qui s’était passé au château, et parce qu’elles craignaient pour elles quelques suites fatales, si elles se hasardaient trop près. Elles s’étaient dirigées vers la rive orientale, et tâchaient en même temps de se mettre au vent de l’arche, ne sachant si c’était là ou dans le château qu’elles devaient rencontrer des ennemis. Une longue habitude faisait qu’elles maniaient les rames avec beaucoup de dextérité, et surtout Judith, qui avait souvent gagné le prix de courses aquatiques avec les jeunes gens qui venaient quelquefois sur le lac.

Quand les trois Hurons furent sortis de derrière la palissade, et qu’ils se trouvèrent en plein lac, et dans la nécessité d’avancer vers l’arche, sans aucune protection contre les balles s’ils persistaient dans leur premier projet, leur ardeur se refroidit sensiblement. Sur une pirogue d’écorce, ils étaient sans aucune espèce de couvert, et la discrétion indienne s’opposait à une tentative aussi dangereuse que celle d’attaquer un ennemi aussi bien retranché que l’était le Delaware. Au lieu donc de poursuivre l’arche, ces trois guerriers se dirigèrent vers la rive orientale, en ayant soin de se tenir hors de portée des mousquets de Chingachgook. Mais cette manœuvre rendit la position des deux sœurs excessivement critique. Elle menaçait de les placer, sinon entre deux feux, du moins entre deux dangers, ou entre ce qu’elles regardaient comme deux dangers. Au lieu de permettre aux Hurons de l’enfermer dans ce qui lui semblait une sorte de filet, Judith se mit de suite en retraite vers le sud, en se tenant à peu de distance du rivage. Elle n’osa débarquer, et s’il fallait avoir recours à un pareil expédient, elle ne pouvait le hasarder qu’à la dernière extrémité. Les Indiens ne firent d’abord que peu ou point d’attention à cette seconde pirogue ; car ils savaient fort bien qui s’y trouvait, et ils n’attachaient pas grande importance à cette capture, tandis que l’arche, avec ses trésors imaginaires et leurs deux ennemis, le Delaware et Hurry, et la facilité qu’elle offrait de pouvoir porter en même temps un grand nombre d’individus, était devant leurs yeux. Mais si l’arche était un objet de tentation, elle offrait des dangers qui y étaient proportionnés ; et après avoir perdu près d’une heure à faire des évolutions incertaines, ils parurent tout à coup prendre une résolution décidée, et ils le prouvèrent en donnant la chasse à la pirogue.

Quand ils formèrent ce dernier projet, les circonstances dans les-