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OU LE TUEUR DE DAIMS.

l’eau à l’instant où la langue agile de Hurry cessa de parler. Hist vit partir le guerrier avec la soumission silencieuse d’une Indienne, mais non sans les inquiétudes et les craintes naturelles à son sexe. Depuis leur réunion jusqu’au moment où ils s’étaient servis ensemble de la longue-vue, Chingachgook lui avait montré toute la tendresse qu’un homme civilisé et ayant les sentiments les plus délicats aurait pu témoigner à sa maîtresse ; mais dès qu’il fut dans la pirogue, tout signe de faiblesse disparut pour faire place à un air de ferme résolution ; et quoique Hist le suivit des yeux pendant que la pirogue s’éloignait, dans l’espoir de rencontrer les siens et d’en recevoir un regard d’affection, la fierté de l’Indien ne lui permit pas de payer sa sollicitude d’un seul coup d’œil.

La circonspection et la gravité du Delaware n’étaient certainement pas déplacées au milieu des idées qui l’occupaient en partant. Si les ennemis étaient réellement en possession du château, il fallait qu’il s’avançât en quelque sorte sous la bouche de leurs mousquets sans avoir la protection d’aucun couvert, ce qui paraît si essentiel aux Indiens dans toutes leurs guerres. On pouvait à peine se figurer une entreprise plus dangereuse, et si Chingachgook eût eu dix ans de plus d’expérience, ou qu’il eût eu avec lui son ami Deerslayer, il ne s’y serait jamais exposé, les avantages à en retirer n’étant pas proportionnés avec les risques à courir. Mais la rivalité de couleur ajoutait à l’orgueil d’un chef indien, et il n’est pas invraisemblable qu’il ait été affermi dans sa résolution par le désir de montrer son courage en présence de l’aimable créature sur qui ses idées de dignité mâle ne lui permettaient pas de jeter un coup d’œil.

Chingachgook continua à avancer vers le château, les yeux toujours fixés sur les petites lucarnes, en guise de meurtrières, qui y avaient été pratiquées, et s’attendant à chaque instant à en voir sortir le canon d’un mousquet, ou à entendre l’explosion d’un coup de feu. Il réussit pourtant à arriver sans accident aux pilotis. Là il se trouvait protégé jusqu’à un certain point, car le haut de la palissade le mettait à peu près à l’abri, et le nombre des chances qu’il avait contre lui était considérablement diminué. Le cap de sa pirogue inclinait vers le nord à son arrivée, et il n’était plus qu’à peu de distance du moccasin ; mais, au lieu de changer de route pour le ramasser, il fit lentement tout le tour du bâtiment pour voir s’il apercevrait quelque signe qui annonçât la présence de l’ennemi dans l’intérieur, ou quelque effraction commise pour y pénétrer. Il ne vit pourtant rien qui tendît à confirmer ses soupçons. Le silence