Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
DEERSLAYER

s’éveillant, apprit du Delaware la position du camp des Indiens, tout ce qui venait de s’y passer, et l’absence de ses deux filles. Cette dernière circonstance l’inquiéta peu, car il comptait beaucoup sur la sagacité de sa fille aînée, et il savait que la plus jeune pouvait se trouver sans danger au milieu des sauvages. D’ailleurs une longue familiarité avec le péril avait émoussé sa sensibilité. Il ne parut pas regretter beaucoup la captivité de Deerslayer ; car, quoiqu’il sût que son aide pouvait lui être importante pour sa propre défense, la différence de leurs idées morales faisait qu’il n’y avait guère de sympathie entre eux. Il aurait été charmé de connaître la position du camp des Indiens avant que l’enlèvement de Hist y eût jeté l’alarme ; mais il trouva qu’il serait trop hasardeux de descendre à terre en ce moment, et il renonça avec regret, pour cette nuit, aux nouveaux desseins que la captivité et la soif de la vengeance lui avaient fait concevoir. L’esprit rempli de pareilles pensées, il alla s’asseoir sur l’avant du scow, où Hurry ne tarda pas à venir le joindre, laissant Chingachgook et Hist en possession paisible de l’arrière.

— Deerslayer a prouvé qu’il n’était qu’un enfant en allant au milieu des sauvages à une pareille heure, et en se laissant tomber entre leurs mains comme un daim qui se jette sottement dans un piège, grommela le vieillard, apercevant, suivant l’usage, un grain de poussière dans l’œil de son voisin sans voir la poutre qui était dans le sien. S’il faut que sa chair paie pour sa stupidité, il ne peut en accuser personne que lui-même.

— C’est ainsi qu’on agit dans le monde, vieux Tom, répondit Hurry. Chacun doit payer ses dettes et répondre pour ses péchés. Je suis pourtant surpris qu’un garçon aussi adroit et aussi vigilant que Deerslayer se soit laissé prendre dans une pareille trappe. N’avait-il rien de mieux à faire que d’aller rôder dans un camp de Hurons à minuit sans autre place de retraite qu’un lac ? Se croyait-il un daim, et s’imaginait-il qu’en se jetant à l’eau il ferait perdre sa piste et se tirerait d’affaire ? J’avais une meilleure opinion de son jugement, j’en conviens ; mais il faut pardonner un peu d’ignorance à un novice. Mais savez-vous ce que sont devenues vos filles ? J’ai parcouru toute l’arche ; et je n’en ai vu aucune trace.

Hutter lui expliqua brièvement la manière dont elles étaient parties, comme le Delaware le lui avait raconté, le retour de Judith, et son second départ.

— Voilà ce que c’est qu’une langue bien pendue, s’écria Hurry grinçant les dents de ressentiment ; et voilà ce que sont les inclinations d’une sotte fille. Vous ferez bien d’y regarder de près, vieux