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DEERSLAYER

habitude, Judith pouvait à peine respirer, et la pauvre Hetty se cachait le visage des deux mains et tremblait.

— C’est le cri d’une femme, dit la première, et c’est un cri d’angoisse. Si l’arche a levé l’ancre, elle ne peut être allée qu’au nord avec le vent qu’il fait, et le coup de mousquet aussi bien que le cri viennent de la pointe. Serait-il arrivé quelque accident à Hist ?

— Allons-y voir, Judith ; elle peut avoir besoin de notre aide. Il n’y a que des hommes avec elle sur l’arche.

Ce n’était pas le moment d’hésiter, et Hetty n’avait pas fini de parler que Judith ramait déjà. Elles n’étaient pas à une bien grande distance de la pointe en ligne droite, et l’inquiétude qu’elles avaient pour la jeune Indienne ne leur permettait pas de songer à prendre des précautions ; elles avancèrent donc rapidement. Mais la même agitation qu’elles éprouvaient ferma d’autres yeux sur leurs mouvements. Bientôt un rayon de lumière frappa les regards de Judith à travers une percée naturelle dans les buissons, et gouvernant sa pirogue de manière à rester en face de cette ouverture, elle s’approcha de la terre autant que la prudence le permettait.

La scène qui s’offrit alors aux yeux des deux sœurs se passait dans le bois, sur le penchant de la hauteur dont il a été si souvent parlé, et elle était complètement visible à bord de la pirogue. Tout ce qui composait le camp des Indiens y était réuni. Sept à huit sauvages portaient des torches de pin, qui répandaient une lumière vive, mais lugubre, sous les arches de la forêt. Assise, le dos appuyé contre un arbre, et soutenue d’un côté par la sentinelle dont la négligence avait permis à Hetty de s’échapper, on voyait la jeune Indienne dont la visite attendue lui avait fait oublier sa consigne. À la clarté d’une torche qu’on tenait près d’elle, on voyait évidemment qu’elle était à l’agonie, et le sang qui coulait de sa poitrine nue annonçait la cause de sa mort. L’air humide et pesant de la nuit conservait même encore une odeur de poudre, et il n’y avait nul doute qu’elle n’eût été tuée d’un coup de feu. Un seul coup d’œil fit tout comprendre à Judith. La lueur qui avait précédé l’explosion avait formé une ligne sur l’eau à peu de distance de la pointe ; le coup de mousquet devait donc avoir été tiré à bord soit d’une pirogue, soit de l’arche, passant près de la pointe. Une exclamation imprudente ou quelque bruit dans les broussailles devait en avoir été la cause, car celui qui avait tiré avait dû consulter le son et non la vue. Quant à l’effet que le coup avait produit, il fut bientôt encore plus visible. La tête de la victime tomba sur sa poitrine, son corps s’affaissa, et tout annonça qu’elle était morte. Les Indiens,