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DEERSLAYER
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— Mais que dirai-je à Judith ? Je vous dis qu’elle me renverra ici, si je ne mets pas son esprit en repos.

— Dites-lui la même chose. — Sans doute les sauvages auront recours à la torture pour me faire céder et pour se venger de la mort de leur guerrier ; mais il faut que je lutte contre la faiblesse de la nature aussi bien qu’il me sera possible. Vous pouvez dire à Judith de n’avoir aucune inquiétude pour moi. — Ce sera un moment dur à passer, je le sais, vu que les dons d’un homme blanc ne sont pas de se vanter et de chanter au milieu des tortures. Mais vous pouvez lui dire qu’elle soit sans inquiétude, je crois que je saurai tout supporter, et elle peut compter sur une chose, c’est que, quelle que soit la faiblesse de ma nature, quand même je prouverais par mes plaintes, mes cris et même mes larmes, que je suis tout à fait blanc, je ne m’abaisserai jamais jusqu’à trahir mes amis. Quand ils en viendront à me faire des trous dans la chair avec des baguettes de mousquet rougies au feu, à m’arracher les cheveux, et à me déchiqueter le corps, la nature peut l’emporter, en ce qui concerne les plaintes et les gémissements ; mais là finira le triomphe des vagabonds, car rien ne peut forcer un homme honnête à agir contre sa couleur et son devoir, à moins que Dieu ne l’ait abandonné au démon.

Hetty l’écouta avec beaucoup d’attention, et ses traits doux, mais expressifs, montrèrent la compassion que lui faisait éprouver le tableau anticipé des tourments qu’il se supposait destiné à souffrir. D’abord elle parut ne savoir que faire ; ensuite elle lui prit la main avec affection et lui proposa de lui prêter sa Bible, afin qu’il pût la lire pendant que les sauvages le mettraient à la torture. Quand il lui eut avoué qu’il ne savait pas lire, elle lui offrit de rester avec lui, et de lui en faire elle-même la lecture. Il refusa cette offre avec douceur, et Rivenoak paraissant vouloir s’approcher d’eux, il l’engagea à s’éloigner, et lui recommanda de nouveau de dire à ceux qui étaient dans l’arche d’avoir toute confiance en sa fidélité.

Hetty se retira, et se mêla au groupe de femmes avec autant de confiance et de sang-froid que si elle eût appartenu à leur tribu. De son côté, le chef huron reprit sa place auprès du prisonnier, et continua à lui faire des questions avec l’adresse astucieuse d’un Indien, tandis que Deerslayer employait contre lui les moyens qui sont connus comme les plus efficaces pour déjouer la diplomatie plus présomptueuse de la civilisation, ou en bornant ses réponses à la vérité, — à la vérité seule.