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DEERSLAYER

perdue dans les réflexions que le langage et les manières du chasseur étaient de nature à lui inspirer. La simplicité de celui-ci l’avait complètement mise en défaut ; car, dans sa sphère étroite, Judith savait adroitement gouverner les hommes, quoique dans la présente occasion elle eût obéi à l’impulsion bien plus qu’au calcul, en tout ce qu’elle avait dit ou fait. On ne peut nier que quelques-unes de ces réflexions ne fussent amères ; mais il faut attendre la suite de l’histoire pour savoir à quel point ses souffrances étaient méritées, et combien elles étaient vives.

Chingachgook et son ami à face pâle partirent pour exécuter leur hasardeuse et délicate entreprise, avec un sang-froid et une méthode qui auraient fait honneur à des hommes marchant pour la vingtième fois dans le sentier de guerre, tandis que l’un et l’autre n’en étaient encore qu’à la première. Ainsi que le demandait sa position vis-à-vis de la jolie fugitive, l’Indien se plaça sur l’avant de la pirogue, dont Deerslayer prit le gouvernement. De cette façon, Chingachgook serait le premier à débarquer, et naturellement le premier à saluer sa maîtresse. Son ami avait pris son poste sans aucune observation, mais en réfléchissant qu’un homme aussi vivement préoccupé que l’était l’Indien pourrait bien ne pas gouverner la pirogue avec autant d’aplomb et d’intelligence qu’un autre possédant un plus grand calme d’esprit. Depuis leur départ de l’arche, les mouvements des deux aventuriers ressemblaient aux manœuvres de soldats sachant parfaitement l’exercice, mais appelés pour la première fois à faire face à l’ennemi sur le champ de bataille. Jusqu’alors Chingachgook n’avait jamais tiré un coup de fusil sous l’empire de la colère, et le début guerrier de son compagnon est connu du lecteur. À la vérité, l’Indien avait rôdé pendant quelques heures autour du camp ennemi, à l’époque de son arrivée, et il y était même entré une fois, ainsi qu’on l’a vu dans le dernier chapitre, mais ces deux tentatives avaient été infructueuses. Il était certain à présent qu’ils avaient l’alternative d’un résultat important ou d’une défaite humiliante. La délivrance de Hist dépendait du succès de l’entreprise. C’était en un mot le coup d’essai de ces deux jeunes et ambitieux soldats des forêts, et si l’un d’eux seulement agissait sous l’influence de sentiments qui d’ordinaire poussent les hommes si loin, tous deux sentaient leur fierté et leur ambition intéressées à la réussite.

Au lieu de diriger la pirogue directement vers la pointe, qui se trouvait alors à moins d’un quart de mille de l’arche, Deerslayer lui fit suivre une diagonale vers le centre du lac, dans le but de