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OU LE TUEUR DE DAIMS.

moment, et par conséquent vous ne pouvez vous attendre à me voir agir ainsi.

— Je crains que vous n’ayez raison, Deerslayer ; je le crois même, et pourtant je voudrais que vous ne partissiez pas ! Promettez-moi une chose du moins, c’est de ne pas vous aventurer au milieu des sauvages, et de vous en tenir à enlever la jeune fille. Ce sera assez pour une fois, et vous devriez vous contenter de cela.

— Dieu vous protège, Judith ! on croirait que c’est Hetty qui parle, et non la spirituelle et merveilleuse Judith Hutter ! Mais la frayeur change l’esprit en sottise et la force en faiblesse. Oui, j’en ai vu des preuves plus d’une fois. Eh bien ! l’intérêt que vous portez à un de vos semblables prouve votre bon cœur, Judith, et je dirai toujours que vos sentiments sont affectueux et sincères, malgré toutes les sottes histoires que peuvent inventer les personnes jalouses de votre beauté.

— Deerslayer, se hâta de dire la jeune fille en l’interrompant, quoique l’émotion la suffoquât, croyez-vous tout ce que vous entendez dire d’une pauvre orpheline ? La méchante langue de Harry Hurry doit-elle empoisonner mon existence ?

— Non pas, Judith, non pas. J’ai dit à Hurry qu’il n’était pas digne d’un homme de dire du mal de ceux qu’il ne pouvait se rendre favorables par des moyens légitimes, et que même un Indien respecte toujours la bonne réputation d’une jeune femme.

— Si j’avais un frère, Hurry n’oserait se conduire ainsi, s’écria Judith avec des yeux étincelants ; mais, voyant que je n’ai d’autre protecteur qu’un vieillard dont les oreilles sont aussi émoussées que les sentiments, il agit à sa guise !

— Cela n’est pas exact, Judith ; non, cela n’est pas exact. Aucun homme, frère ou étranger, ne saurait voir attaquer une aussi belle fille que vous sans dire un mot en sa faveur. Hurry désire sérieusement vous épouser, et le peu qu’il laisse échapper vient, à mon avis, plutôt de la jalousie que d’autre chose. Souriez-lui à son réveil, pressez sa main seulement avec moitié moins de force que vous n’avez serré la mienne tout à l’heure ; et que je meure si le pauvre garçon n’oublie pas tout, vos charmes exceptés. Les gros mots sortent plus souvent de la tête que du cœur. Éprouvez-le, Judith, à son réveil, et vous verrez la puissance d’un sourire.

Arrivé à cette conclusion, Deerslayer se mit à rire à sa manière, puis il annonça à Chingachgook, impatient sans en avoir l’air, qu’il était tout prêt à se mettre en route. Pendant que Deerslayer entrait dans la pirogue, la jeune fille resta immobile comme une statue,