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DEERSLAYER

dans les habitudes de la vie civilisée, elle se trahissait souvent avec une sorte de franchise naturelle, bien supérieure aux ruses et aux froids calculs de la coquetterie. Elle avait même pris en ce moment une des mains calleuses du chasseur, et elle la pressait entre les siennes avec une chaleur et un abandon qui prouvaient combien ses paroles étaient sincères. Heureusement peut-être l’intensité même de ses sentiments modéra ses transports, car la même influence aurait pu lui faire avouer tout ce qu’avait dit son père. En effet, le vieillard ne s’était pas contenté de faire entre Deerslayer et Hurry une comparaison favorable au premier ; il avait encore conseillé à sa fille, avec sa brusquerie et sa grossièreté ordinaires, de se débarrasser entièrement de Hurry et de songer à se faire un mari de l’autre. Judith aurait difficilement fait cet aveu à tout autre homme, mais la simplicité vraie de Deerslayer éveillait une telle confiance, qu’avec des dispositions comme les siennes, elles était sans cesse tentée de franchir les limites de ses habitudes. Cependant elle n’alla pas si loin ; elle laissa retomber la main du jeune chasseur, et se retrancha dans une réserve plus convenable à son sexe et à sa modestie naturelle.

— Merci, Judith, merci du fond du cœur, repartit le chasseur, que son humilité empêcha d’interpréter à son avantage la conduite ou le langage de la jeune fille. — Merci, comme si c’était la pure vérité. — Harry est beau, oui, aussi beau que le plus beau pin de ces montagnes, et le Serpent lui a donné un nom en conséquence. Quoi qu’il en soit, les uns aiment la bonne mine, les autres préfèrent la bonne conduite, Hurry possède le premier avantage, et il dépend de lui d’obtenir l’autre, ou… Écoutez ! C’est la voix de votre père, et il parle du ton d’un homme en colère.

— Que Dieu nous épargne toute répétition de ces horribles scènes ! s’écria Judith, qui pencha sa tête sur ses genoux et s’efforça d’empêcher ces sons discordants d’arriver à ses oreilles en les couvrant avec ses mains. — J’ai quelquefois souhaité de n’avoir pas de père !

Ces paroles furent prononcées avec amertume, et les pénibles souvenirs qui les arrachaient furent amers. Impossible de dire ce qui aurait pu lui échapper ensuite, si une voix douce et discrète ne s’était fait entendre à ses côtés.

— Judith, j’aurais dû lire un chapitre de la Bible à mon père et à Hurry, dit l’innocente Hetty en tremblant, cela les aurait empêchés de faire une seconde expédition semblable. — Appelez-les, Deerslayer, dites-leur que j’ai besoin d’eux, et qu’il leur sera utile à tous deux de revenir pour écouter mes paroles.