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DEERSLAYER

paupières, et, s’unissant à la fraîcheur d’une matinée d’été, donnât le signal du réveil. Ordinairement Hetty était debout avant que les rayons du soleil frappassent les sommets des montagnes ; mais en cette occasion, sa fatigue avait été si grande, et son repos était si profond, que les avertissements accoutumés furent impuissants. La jeune fille murmura dans son sommeil ; elle étendit un bras en avant, sourit aussi gracieusement qu’un enfant dans son berceau, mais elle continua de sommeiller. En faisant ce geste involontaire, sa main tomba sur quelque chose de chaud, et dans l’état d’assoupissement où elle se trouvait, elle attribua cette circonstance à ses vêtements. Le moment d’en suite, une rude attaque fut faite sur son côté, comme si un de ces animaux qui fouillent dans la terre eût passé son museau par-dessous, dans l’intention de forcer sa position ; et alors elle s’éveilla en prononçant le nom de Judith.

En se mettant sur son séant, elle aperçut avec frayeur un objet noir qui s’éloignait d’elle en éparpillant les feuilles et en faisant craquer les branches mortes dans sa précipitation. Elle ouvrit de grands yeux, et après le premier moment de confusion et d’étonnement causé par sa situation, Hetty aperçut un ourson, de l’espèce commune des ours bruns d’Amérique, qui se balançait sur ses pattes de derrière, et continuait à la regarder en paraissant se demander s’il y aurait ou non du danger pour lui à s’approcher d’elle de nouveau. Le premier mouvement de Hetty, qui avait eu plusieurs de ces oursons en sa possession, fut de courir et de saisir la petite créature comme une bonne prise, mais un rugissement bruyant l’avertit du danger d’une telle entreprise. Reculant de quelques pas, la jeune fille jeta à la hâte un coup d’œil autour d’elle, et elle aperçut à peu de distance la mère, qui épiait ses mouvements d’un œil farouche. Un arbre creux qui avait servi de demeure à des abeilles était récemment tombé, et la mère se régalait avec deux autres petits du mets délicat que cet accident avait mis à sa portée, tout en observant avec inquiétude la position de ses petits qui bondissaient avec insouciance.

L’esprit de l’homme ne peut pas prétendre à analyser les influences qui gouvernent les animaux.

En cette occasion, la mère, bien que d’une férocité proverbiale quand elle croit ses petits en danger, ne manifesta aucune intention d’attaquer la jeune fille. Elle quitta le miel et s’avança à vingt pas d’elle ; elle se leva alors sur ses pattes de derrière et balança son corps avec une sorte de grognement mécontent, mais elle n’approcha pas davantage. Heureusement, Hetty ne prit pas la fuite. Au