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DEERSLAYER

droite que celle parcourue par votre balle quand vous l’envoyez contre un daim ; la voilà, je la tiens.

La pirogue fut saisie, et amarrée aussitôt à l’arche. L’instant d’après, la voile fut amenée, et le mouvement de l’esquif arrêté au moyen des rames.

— Hetty ! cria Judith, dont la voix trahissait l’inquiétude et l’affection. Êtes-vous à portée de m’entendre, ma sœur ? Pour l’amour de Dieu, répondez, et que j’entende encore le son de votre voix ! Hetty ! chère Hetty !

— Je suis ici, Judith, ici, sur le rivage, où il sera inutile de me suivre, car je me cacherai dans les bois.

— Ô Hetty, à quoi songez-vous ? Souvenez-vous qu’il est près de minuit, et que les bois sont pleins de sauvages et de bêtes féroces !

— Ni les uns ni les autres ne feront de mal à une pauvre fille faible d’esprit, Judith. Dieu est aussi bien avec moi ici que dans l’arche ou dans la hutte. Je vais au secours de mon père et du pauvre Hurry, qui seront torturés et massacrés si personne ne pense à eux.

— Nous y pensons tous, et nous nous proposons d’envoyer demain un drapeau de trêve, pour offrir leur rançon. Revenez donc, ma sœur ; fiez-vous à nous qui avons plus de bon sens que vous, et qui ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour notre père.

— Je sais que vous avez plus d’esprit que moi, Judith, car le mien est bien faible, assurément ; mais il faut que faille trouver mon père et le pauvre Hurry. Gardez le château, ma sœur, vous et Deerslayer, et laissez-moi entre les mains de Dieu.

— Dieu est avec nous tous, Hetty, dans le château ou sur le rivage, avec notre père aussi bien qu’avec nous-mêmes ; et c’est un péché de ne pas avoir confiance en sa bonté. Vous ne pouvez rien faire dans les ténèbres ; vous vous égarerez dans la forêt et vous périrez de faim.

— Dieu ne voudra pas que cela arrive à une pauvre enfant qui va servir son père, ma sœur. Il faut que j’essaie de trouver les sauvages.

— Revenez seulement pour cette nuit ; demain matin, nous vous débarquerons, et vous serez libre d’agir comme bon vous semblera.

— Vous le dites, Judith, et vous le pensez ; mais vous ne le feriez pas. Votre cœur s’attendrirait, et vous verriez dans l’air des tomahawks et des couteaux à scalper. En outre, j’ai à dire au chef indien quelque chose qui comblera tous nos vœux ; et j’ai peur de l’oublier