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DEERSLAYER

ment où l’arche vint à s’approcher du camp des Indiens ; alors elle reprit la rame, et elle s’en servit avec circonspection, pour gagner du mieux qu’il lui serait possible la rive de l’ouest. Afin d’éviter ceux qui étaient à sa poursuite, et qui eux-mêmes, ainsi qu’elle avait raison de le supposer, se mettraient bientôt à ramer le long de ce rivage, elle dirigea la pirogue tellement au nord qu’elle la fit aborder à une pointe qui s’avançait dans le lac, à près d’une lieue de distance du Susquehannah. Ce n’était pas seulement le résultat d’un désir d’échapper ; car, faible d’esprit comme elle l’était, Hetty Hutter était douée de cette prudence d’instinct qui si souvent met à l’abri du danger ceux que Dieu a affligés de cette manière. Elle savait parfaitement de quelle importance il était d’empêcher que les pirogues ne tombassent entre les mains des Iroquois, et la connaissance qu’elle avait depuis longtemps du lac lui suggéra un des plus simples expédients à l’aide duquel ce grand objet pourrait être accompli sans déranger ses projets.

La pointe en question était la seule saillie qui s’offrît de ce côté du lac où une pirogue que la brise du sud viendrait à faire dériver flotterait au large, et d’où il ne serait même pas invraisemblable qu’elle pût arriver au château, celui-ci se trouvant situé au-dessus de la pointe, et dans une ligne presque directe avec le vent. Telle était l’intention de Hetty ; et elle débarqua à l’extrémité de cette pointe sablonneuse, sous le feuillage d’un chêne dont les branches avançaient sur le lac, avec la résolution expresse de pousser la pirogue loin du rivage, afin qu’elle pût dériver vers la demeure isolée de son père. Elle savait aussi par les troncs d’arbres qu’elle avait vus flotter parfois sur le lac, que si la pirogue n’atteignait ni le château ni ses dépendances, le vent ne changerait probablement pas avant qu’elle eût le temps de gagner l’extrémité septentrionale du lac, et qu’alors Deerslayer pourrait avoir une occasion de la reprendre dans la matinée, quand sans doute il se mettrait à parcourir la surface de l’eau et tous ses bords boisés à l’aide de la longue-vue. En tout cela, aussi, Hetty fut moins gouvernée par aucune suite de raisonnements que par ses habitudes, qui, dans le fait, suppléent souvent aux défectuosités de l’esprit dans les êtres humains, de même qu’elles remplissent des fonctions analogues dans les animaux d’espèces inférieures.

La jeune fille mit une heure entière à parvenir jusqu’à la pointe, car elle fut à la fois retardée par la distance et par l’obscurité ; mais elle ne se trouva pas plutôt sur la plage sablonneuse, qu’elle se prépara à faire dériver la pirogue de la manière indiquée plus