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DEERSLAYER

Pendant ce temps, la pirogue, à l’une des extrémités de laquelle Hetty se tenait debout, était à peine visible, et la dérive plus rapide de l’arche la rendit à chaque instant moins distincte. Il était évident qu’il n’y avait pas de temps à perdre, si l’on ne voulait pas la voir disparaître entièrement. Les carabines furent alors déposées comme inutiles ; puis les deux hommes saisirent les rames et mirent le cap du scow dans la direction de la pirogue. Judith, habituée à cette fonction, s’élança à l’autre bout de l’arche, et se plaça à ce qu’on pourrait appeler le gouvernail. Hetty s’alarma à la vue de ces préparatifs, qui ne purent être faits sans bruit, et elle s’éloigna tout à coup comme un oiseau prend son vol à l’approche d’un danger inattendu.

Comme Deerslayer et son compagnon ramaient avec l’énergie d’hommes qui comprenaient la nécessité de déployer toute leur vigueur, et comme les forces de Hetty étaient en partie paralysées par l’agitation où la jetait son désir d’échapper, la chasse aurait été promptement terminée par la prise de la fugitive, si elle n’eut fait plusieurs détours brusques et imprévus. Ces détours lui firent gagner du temps, et ils eurent aussi pour résultat de porter graduellement la pirogue, ainsi que l’arche, dans l’obscurité plus profonde que répandaient les ombres des collines. Ces détours augmentèrent en outre peu à peu la distance qui séparait la jeune fille de ceux qui la poursuivaient, jusqu’au moment où Judith cria à ses compagnons de cesser de ramer, car elle avait complètement perdu de vue la pirogue.

Quand cette nouvelle mortifiante fut annoncée, Hetty se trouvait assez près de l’arche pour saisir chaque syllabe prononcée par sa sœur, quoique celle-ci eût pris la précaution de parler aussi bas que les circonstances l’exigeaient pour être cependant entendue. Au même instant, Hetty cessa de ramer, et elle attendit le résultat avec une impatience qui tenait son haleine en suspens, tant par suite des efforts qu’elle venait de faire qu’à cause du désir qu’elle avait de débarquer. Un silence de mort tomba aussitôt sur le lac, et pendant ce temps les trois autres s’efforçaient, par différents moyens, de découvrir la position de la pirogue. Judith se pencha en avant pour écouter, dans l’espoir de saisir quelque son qui pût trahir la direction que sa sœur suivait en s’éloignant, tandis que ses deux compagnons approchaient leurs yeux aussi près que possible du niveau de l’eau, afin de découvrir tout objet qui pourrait flotter à sa surface. Tout fut inutile ; aucun son, aucun objet visible ne récompensa leurs efforts. Pendant tout ce temps, Hetty,