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OU LE TUEUR DE DAIMS.

et une mort certaine s’ensuivra. Cessez de ramer, et répondez !

— Faites feu, et tuez une pauvre fille sans défense, répliqua une voix de femme douce et tremblante, mais Dieu ne vous le pardonnera jamais ! Suivez votre route, Deerslayer, et laissez-moi continuer la mienne.

— Hetty ! s’écrièrent à la fois le jeune chasseur et Judith ; puis le premier s’élança aussitôt vers l’endroit où il avait amarrée la pirogue qu’ils avaient prise à la remorque. Elle était partie, et il comprit toute l’affaire. Quant à la fugitive, effrayée par la menace, elle cessa de ramer, et resta confusément visible, semblable à un spectre à forme humaine debout sur l’eau. Le moment d’après, la voile fut amenée, pour empêcher l’arche de dépasser l’endroit où se trouvait la pirogue. Cette dernière mesure ne fut pourtant pas prise à temps, car l’impulsion que l’arche avait reçue et l’action du vent la portèrent bientôt à distance ; de sorte que Hetty se trouva directement au vent, quoique toujours visible, car le changement de position des deux esquifs avait placé la pirogue dans cette espèce de voie lactée dont nous avons parlé.

— Que signifie ceci, Judith ? demanda Deerslayer. Pourquoi votre sœur a-t-elle pris la pirogue et nous a-t-elle quittés ?

— Vous savez qu’elle est faible d’esprit, la pauvre fille ! Elle a ses idées à elle sur ce qu’il faut faire. Elle aime son père plus que la plupart des enfants n’aiment leurs parents, et alors…

— Alors quoi, Judith ? Le moment est critique et veut qu’on dise la vérité !

Judith éprouvait un regret généreux d’être obligée de trahir sa sœur, et elle hésita avant de reprendre la parole. Mais, pressée de nouveau par Deerslayer, et sentant elle-même tous les dangers dont l’imprudence de Hetty les entourait, elle ne put s’en dispenser plus longtemps.

— En bien ! je crains que cette pauvre insensée de Hetty n’ait pas été entièrement capable de découvrir la vanité, l’emportement, la folie, qui sont cachés sous les beaux traits et la tournure agréable de Hurry Harry. Elle parle de lui en dormant, et parfois elle trahit son penchant, même quand elle est éveillée.

— Vous pensez, Judith, que votre sœur se dispose maintenant à exécuter quelque projet extravagant pour secourir son père et Hurry, projet qui, suivant toute probabilité, rendra ces reptiles, les Mingos, maîtres d’une pirogue ?

— Je crains que cela n’arrive, Deerslayer ; la pauvre Hetty n’a pas assez d’adresse pour tromper un sauvage.