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OU LE TUEUR DE DAIMS.

reté de ses intentions, la poésie et le naturel de ses sentiments, et jusqu’à l’originalité de son langage, tout cela avait contribué à créer une affection qu’elle trouva aussi pure qu’elle était soudaine et profonde. La belle figure et la mâle tournure de Hurry, n’avaient jamais racheté ses manières brusques et vulgaires ; et les relations de Judith avec les officiers qui venaient parfois sur le lac pour pêcher et chasser, l’avaient disposée à faire des comparaisons qui ne devaient pas être à l’avantage du jeune étranger ; mais c’étaient ces relations mêmes qui avaient fait naître ses sentiments pour lui. Avec eux, tandis que sa vanité était flattée et son amour-propre vivement excité, elle avait bien des raisons de regretter profondément d’avoir fait leur connaissance, sinon de le déplorer avec un chagrin secret ; car il était impossible qu’une intelligence aussi prompte que la sienne ne comprît pas toute la sécheresse qui existe dans les rapports de supérieur à inférieur ; elle s’était aperçue aussi qu’elle était regardée comme le passe-temps d’une heure de loisir, plutôt que comme une égale et une amie, par ceux mêmes de ses admirateurs en habits rouges qui avaient les intentions les plus louables et les plus désintéressées. D’un autre côté, chez Deerslayer, le cœur était si transparent, qu’on y voyait briller la droiture comme à travers un cristal ; et son indifférence même pour des charmes qui avaient si rarement manqué de faire sensation, piquait la vanité de la jeune fille, et lui faisait éprouver pour lui un sentiment qu’un autre, en apparence plus favorisé par la nature, n’aurait peut-être pas su lui inspirer.

Une demi-heure se passa de la sorte. Pendant ce temps, l’arche avait lentement glissé sur l’eau, et les ténèbres s’étaient épaissies. Cependant il était aisé de voir que les sombres masses de la forêt à l’extrémité méridionale du lac commençaient à se perdre dans le lointain, tandis que les montagnes bordant les flancs du magnifique bassin le couvraient de leurs ombres presque dans toute sa largeur. Il y avait, à la vérité, un filet d’eau au centre du lac sur la surface duquel tombait la pâle lueur que le ciel répandait encore ; cette ligne s’étendait du nord au sud ; et ce fut en suivant cette faible trace, sorte de voie lactée renversée dans laquelle l’obscurité n’était pas aussi épaisse qu’ailleurs, que l’arche continua sa course ; car celui qui gouvernait savait bien que cette ligne conduisait au point où il désirait arriver. Le lecteur ne doit pas supposer toutefois qu’il pût exister aucune difficulté à cet égard : la route eût été indiquée par le cours de l’air, s’il eût été impossible de distinguer les montagnes, aussi bien que par le sombre débouché au sud qui