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DEERSLAYER

nous. Naturellement on les retient dans le camp ; mais du reste ils font à peu près ce qu’ils veulent.

— Je suis ravie d’apprendre cela, Deerslayer, répliqua Judith, et maintenant que votre ami nous a rejoints, je ne doute pas un seul instant que nous ne trouvions une occasion de racheter les prisonniers. S’il y a des femmes dans le camp, j’ai des articles de toilette qui attireront leurs regards ; et au pis-aller, nous pouvons ouvrir la bonne caisse, et je crois que nous y trouverons des objets dont la vue pourra tenter les chefs.

— Judith, dit le jeune chasseur en la regardant avec un sourire et une expression de vive curiosité, qui, malgré l’obscurité croissante, n’échappa point à l’œil perçant de Judith, aurez-vous bien la force de vous séparer de vos ajustements afin de délivrer les prisonniers, quoique l’un soit votre père, et l’autre votre amant ?

La rougeur dont se couvrit le visage de la jeune fille était en partie causée par le dépit, mais plus encore peut-être par des sentiments nouveaux et plus doux, qui, à l’aide de la capricieuse fantaisie du goût, l’avaient rapidement rendue plus sensible à la bonne opinion du jeune chasseur qui la questionnait, qu’à celle de toute autre personne. Étouffant ce mouvement de mécontentement avec un empressement d’instinct, elle répondit avec une vivacité et une candeur qui engagèrent sa sœur à s’approcher pour écouter, quoique la faiblesse d’esprit de celle-ci fût loin de comprendre ce qui s’opérait dans un cœur aussi perfide, aussi inconstant et aussi impétueux dans ses mouvements, que peut l’être celui d’une beauté gâtée par la flatterie.

— Deerslayer, répondit Judith après un moment de silence, je serai franche avec vous. J’avoue qu’il fut un temps où je n’aimais rien tant au monde que ce que vous appelez ajustements ; mais je commence à penser différemment. Quoique Hurry Harry ne me soit rien, et ne puisse jamais être rien pour moi, je donnerais tout ce que je possède pour lui rendre la liberté. Si donc je faisais volontiers ce sacrifice pour ce tapageur, ce fanfaron, ce bavard de Hurry, qui n’a d’autre recommandation que sa bonne mine, vous pouvez juger de ce que je ferais pour mon propre père.

— Cela sonne bien, et se trouve conforme aux dons naturels de la femme. Ma foi ! on trouve les mêmes sentiments chez les femmes des Delawares. Je les ai vues bien des fois sacrifier leur vanité à leurs cœurs. Cela devrait être ainsi, je le suppose, dans les deux couleurs. La femme a été créée pour les sentiments, et ce sont eux qui assez souvent la gouvernent.