Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.
123
OU LE TUEUR DE DAIMS.

tal, paraissaient y avoir été placés pour embellir la scène. Quelques oiseaux aquatiques rasaient de temps en temps la surface de l’eau, et ils ne virent qu’un seul corbeau, qui volait bien au-dessus de la cime des arbres de la forêt, et dont les yeux cherchaient à percer le dôme de feuillage dans l’espoir d’y trouver quelque proie.

Le lecteur peut avoir remarqué que, malgré la franchise un peu brusque des manières de Judith qui était la suite des habitudes qu’elle avait prises sur la frontière, son langage était fort supérieur à celui des hommes qu’elle avait occasion de voir, sans même en excepter son père. Cette différence se faisait observer, tant dans la prononciation que dans le choix des expressions et la manière d’arranger les phrases. Rien peut-être ne fait mieux connaître l’éducation qu’on a reçue, et la société qu’on a vue, que la manière de s’exprimer, et bien peu de talents contribuent autant à faire valoir les charmes d’une femme qu’une élocution facile et gracieuse ; tandis que rien ne dissipe si promptement l’enchantement produit par la beauté, que le contraste qu’on remarque entre de beaux traits et des manières agréables, et un ton commun et des expressions vulgaires. Judith et sa sœur formaient à cet égard des exceptions marquées aux jeunes filles de leur classe sur toute la ligne de la frontière, et les officiers en garnison dans le fort le plus voisin avaient souvent assuré la sœur aînée que peu de dames des villes possédaient cet avantage à un aussi haut degré. Ce compliment n’était pas tout à fait la vérité, mais il en approchait assez pour qu’on pût se le permettre. Les deux sœurs devaient à leur mère cette distinction, ayant acquis d’elle, dans leur enfance, un avantage que ni l’étude ni le travail ne peuvent procurer ensuite, s’il est négligé dans les premières années. Qui était, ou, pour mieux dire, qui avait été cette mère, c’était ce que personne ne savait, excepté Hutter. Il y avait deux ans qu’elle était morte, et, comme l’avait dit Hurry, elle avait été enterrée dans le lac. Hutter avait-il agi ainsi par suite d’un préjugé, ou pour s’épargner la peine de lui creuser une fosse ; cette question avait été un sujet de discussion fréquente entre les êtres grossiers qui habitaient cette frontière. Judith n’avait jamais vu le lieu où elle avait été enterrée, mais Hetty avait été présente à l’enterrement. Elle se rendait souvent en pirogue à cet endroit, au coucher du soleil ou au clair de la lune, et elle regardait dans l’eau, avec l’espoir d’entrevoir la forme de celle qu’elle avait si tendrement aimée depuis son enfance jusqu’au triste moment de leur séparation.

— Faut-il que nous soyons au rocher exactement à l’instant du