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DEERSLAYER

un ami. Je suis ici comme l’aide et le soutien de Chingachgook, et si je puis contribuer à lui rendre sa maîtresse, j’en serai presque aussi charmé que si c’était la mienne.

— Et où est-elle donc la vôtre, Deerslayer ?

— Elle est dans la forêt, Judith. Je la vois suspendue à chaque feuille d’arbre, après une douce pluie, dans les gouttes de rosée qui couvrent chaque brin d’herbe, dans les beaux nuages qui flottent sur l’azur du firmament, dans les oiseaux dont les chants remplissent les bois, dans les sources pures où j’étanche ma soif ; en un mot, dans tous les dons glorieux que nous devons à la Providence.

— Ce qui veut dire que vous n’avez jamais aimé une femme, et que vous donnez la préférence aux bois dans lesquels vous vivez ?

— C’est cela, — précisément cela. Je suis blanc, j’ai le cœur blanc, et je ne puis raisonnablement aimer une fille à peau rouge, qui doit avoir le cœur et les sentiments rouges. Non, non ; je suis sain et sauf à cet égard, et j’espère bien rester ainsi, du moins jusqu’à la fin de cette guerre. Je suis trop occupé de l’affaire de Chingachgook pour désirer d’en avoir une pour mon propre compte.

— Celle qui gagnera votre cœur, Deerslayer, gagnera du moins un cœur honnête, un cœur droit et franc ; et ce sera un triomphe que la plupart des femmes devront lui envier.

Tandis que Judith parlait ainsi, son beau front était plissé avec un air de ressentiment, et l’on voyait un sourire amer sur une bouche qu’aucun dérangement de muscles ne pouvait empêcher d’être charmante. Son compagnon remarqua ce changement, et quoiqu’il ne fût pas versé dans la connaissance du cœur des femmes, il eut assez de délicatesse naturelle pour sentir que le mieux était de terminer cette conversation.

Comme l’heure à laquelle il attendait Chingachgook était encore éloignée, Deerslayer eut le temps d’examiner les moyens de défense du château, et de faire les arrangements additionnels qui étaient en son pouvoir, et que les circonstances semblaient exiger. L’expérience et la prévoyance de Hutter avaient laissé fort peu de chose à faire à cet égard ; cependant quelques autres précautions se présentèrent à l’esprit du jeune chasseur, qu’on pouvait dire avoir étudié l’art de la guerre de frontières dans les traditions et les légendes de la peuplade au milieu de laquelle il avait vécu si longtemps. La distance qui existait entre le château et la partie la plus voisine de la terre ne laissait rien à craindre d’une balle partie du rivage. Il était vrai que la maison n’était pas tout à fait hors de la portée du mousquet ; mais ajuster un individu était tout à fait hors